Le logement en pleine mutation
Ministres, élus de terrain, syndicalistes et professionnels s’y sont retrouvés, le 14 février 2022, pour débattre de l’avenir d’un secteur décisif pour le bien-être des populations.
Synthèse des 3 ateliers réalisée par Joseph Korda, collectif logement CGT.
Se loger est un droit fondamental. Mais, chaque jour, il pèse davantage dans le budget des ménages, qui y consacrent 20 %, voire 30 % ou plus. L’inflation du prix de l’immobilier rend ce droit de plus en plus difficilement applicable. Les mal-logés, celles et ceux en attente d’un logement social, en savent quelque chose. Les baisses des aides à la pierre et des APL ont par ailleurs porté des coups de canif majeurs à un secteur déjà en souffrance.
Malgré les efforts des collectivités territoriales, les prix des loyers ponctionnent beaucoup trop le budget de nombreuses familles.
Loin des polémiques racistes agitées par l’extrême droite sur les locataires du parc social, il est temps de faire du logement un sujet d’ampleur nationale et de justice sociale.
Il y a plus que jamais besoin de construire massivement et d’accélérer la rénovation thermique pour répondre à la fois aux défis sociaux et environnementaux. Les professionnels du secteur, les élus, les citoyens sont plus que prêts à s’emparer de ces enjeux, comme l’a prouvé notre forum.
Le logement, une part grandissante dans le budget des ménages
C’est Emmanuelle Wargon, la ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée du logement, qui introduit la première table ronde consacrée à la crise du logement, autour d’une question sans détour : peut-on encore construire ? Elle rappelle, d’emblée, l’importance que représente le logement dans la vie des Français. « Le logement, c’est l’une des préoccupations principales, c’est un bien essentiel et c’est un poste de dépense élevé, environ 20 % du budget des ménages ». La ministre aborde expressément la question du manque de logements, phénomène qu’elle relie au mal-logement subi par 4 millions de personnes en France, selon les données collectées par la Fondation Abbé-Pierre. « Il y a un besoin de logements auquel on doit répondre en construisant et en trouvant d’autres manières de remettre des logements sur le marché », ce qui pourrait passer par la transformation de bureaux en logements ou la recherche de logements vacants. Balayant l’idée d’une baisse durable d’activité, la ministre indique que 470 000 permis de construire ont été délivrés en 2021, et plus de 2 millions durant l’ensemble du quinquennat, ceci malgré les effets de la crise sanitaire. Et de rappeler la nomination de François Rebsamen à la tête d’une commission censée présenter des propositions au premier ministre, notamment sur le logement social et la construction de logements collectifs en zones dites tendues (métropoles, agglomérations…). Les premières pistes pourraient être celles d’une fiscalité avantageuse pour les communes qui sont prêtes à accueillir des logements sociaux, ainsi que la signature de partenariats entre l’État et les collectivités locales afin de mieux identifier les besoins et d’y apporter des réponses planifiées et cohérentes.
Éric Constantin, directeur de l’agence Île-de-France de la Fondation Abbé-Pierre, qui a récemment rendu son 27e rapport sur l’état du mal-logement en France, insiste pour sa part sur les disparités territoriales, expliquant que 10 % des Franciliens sont touchés par le mal logement. « En Île de-France, le taux d’effort financier pour se loger peut atteindre 40 % pour les foyers les plus pauvres, contre 20 % dans les années 1980 », explique-t-il, pointant des tensions très fortes entre l’offre trop faible et la demande qui explose. « Parallèlement, on a doublé le nombre de demandeurs de logement social en Île-de-France pour atteindre les 750 000. » Le cadre associatif souligne également le phénomène des personnes aux faibles revenus contraintes d’être hébergées par un tiers. « La question posée est de savoir si on peut encore construire. Moi, je dis : si on ne construit pas, que fait-on de tous ces gens ? » tranche-t-il.
Invité à réagir à ces propos très directs, Ian Brossat, adjoint PCF à la maire de Paris en charge du logement, replace le débat dans son contexte politique. « Nous sommes à quelques mois d’une élection présidentielle et la question du pouvoir d’achat est au cœur des préoccupations des Français. Pour autant, on aborde très peu la question du logement », regrette-t-il, remerciant la Fondation Abbé Pierre pour son adresse aux candidats à la présidentielle.
Sur la question de la construction, l’élu local est très clair : « Il est absolument indispensable de continuer à construire, y compris dans des villes comme Paris où nous avons un manque de foncier. » Une position qui va à l’encontre de certaines positions écologistes qui prônent un moratoire sur les constructions. « On peut repeindre l’égoïsme social en vert, ça reste de l’égoïsme social », tacle l’adjoint d’Anne Hidalgo. Selon lui, l’encadrement des loyers est fondamental, même si les sanctions n’existent pratiquement pas. « À Paris, le préfet a prononcé cinq amendes, alors que le tiers des annonces ne respecte pas cette règle », regrette-t-il.
Les yeux se tournent alors vers les bailleurs sociaux incarnés, au Pavillon de l’Arsenal, par Delphine Valentin, directrice générale d’Île-de-France Habitat. « Notre rôle, c’est de loger les gens éligibles au logement social », rappelle-t-elle, ce qui représente, sur l’Île-de-France, entre 70 % et 80 % de la population. « On a des problèmes de financement, d’accès au foncier qui nous empêchent de
construire du logement accessible pour tous », détaille la responsable. Ce à quoi s’ajoute le désengagement progressif de l’État dans le financement du logement social. Sans être contre les promoteurs, Delphine Valentin demande la possibilité, pour les bailleurs, de produire directement des logements. « Nous savons faire », assure t-elle.
Face à ces différents retours d’expérience, Emmanuelle Wargon insiste sur les avancées législatives, notamment sur l’encadrement des loyers et les compensations financières. « Ce n’est pas le financement qui bloque, mais la volonté politique, d’une part, et l’accès au foncier, d’autre part », explique la ministre, qui souhaite examiner la question des terrains désaffectés de l’AP-HP ou encore de la SNCF. Le Grand Paris Express doit aussi permettre d’inciter à construire des logements sociaux aux abords des nouvelles gares qui vont prochainement sortir de terre. « L’aménagement du territoire sera le grand débat des prochaines années », assure-t-elle.
Le bâtiment et l’enjeu de la sous-traitance
La deuxième table ronde du forum aborde la question du bâtiment et des conditions de travail.
Valérie Labatut, responsable syndical à l’inspection du travail, et Jean Pascal François, secrétaire fédéral de la CGT construction, bois et ameublement, ont « les mains dans le cambouis », pour reprendre les mots justes de l’animateur. « Dans cette branche, il y a un accident grave toutes les cinq minutes, en France », rappelle Jean-Pascal François. Le militant syndical explique à quel point il est compliqué d’obtenir l’identité des victimes, comme celle de Joao, mort sur le chantier du Grand Paris Express, preuve d’un désintérêt de la nation pour ces victimes-là. « Oui, il faut construire, mais avec qui ? » renchérit-il. Sur certains chantiers, le syndicaliste a constaté jusqu’à onze niveaux de sous-traitance, diluant ainsi la chaîne des responsabilités. « Vinci, c’est jusqu’à 1 500 entreprises, on s’y perd », insiste le militant syndical.
Valérie Labatut rappelle la baisse de 20 % des effectifs dans le cadre d’emploi des inspecteurs du travail avec, par exemple en Corse, une vacance des postes élevée à 41 %. Résultat, quand elle se rend sur les chantiers peu visités par manque de bras, il y a des surprises : « Quand on demande aux salariés sur les chantiers pour qui ils travaillent, parfois ils ne savent pas ».
Jean-Pascal François explique, lui, que de très nombreux salariés ne passent jamais au siège de leur entreprise, ce qui rend difficile toute forme d’organisation syndicale. Une deuxième table ronde marquée par des analyses très précises, comme celle liée à la violence des morts au travail, qui provoque chez les proches, mais aussi chez les collègues de « ces travailleurs écrasés sous les machines, coupés en deux », des traumatismes irréversibles.
Des exigences écologiques et des exigences sociales à conjuguer
Pour clôturer provisoirement le débat, « l’Humanité » tend le micro à plusieurs personnalités sur le thème de « l’écoconstruction ». « L’écoconstruction est quelque chose qui est dans l’air du temps, mais qui représente le savoir faire ancestral », explique Guillaume Tapin, directeur de la construction en Île-de-France chez la société d’ingénierie Bérim, qui indique que, depuis la COP21, une page a été tournée et qu’un nouveau paradigme s’impose. « D’ici à 2050, on a encore un quart des bâtiments à construire », poursuit-il, soulignant l’importance des défis à relever.
Pierre, bois, paille, verre… la discussion porte sur la fiabilité et la viabilité de ces matériaux qui ont le vent en poupe. Sachant que, selon Christine Leconte, du Conseil de l’ordre des architectes national, « aujourd’hui, 66 % des déchets sont produits par le BTP ». Emmanuelle Cosse, présidente de l’Union sociale pour l’habitat, prévient pour sa part qu’« il faut faire extrêmement attention que ces enjeux, liés à la manière dont on (l’écoconstruction – NDLR) va s’adapter, ne fassent pas juste oublier des crises sociales majeures ». L’ancienne ministre exprime ses réserves sur la construction de logements pérennes et respectueux de l’environnement, mais qui ne régleraient pas les enjeux du mal-logement… « Si on ne réhabilite pas les logements, c’est simple, on ne peut plus toucher les loyers », rappelle-t-elle également, insistant sur le besoin de favoriser la rénovation plutôt que la destruction systématique.
Jacques Baudrier, adjoint à la mairie de Paris en charge de la construction publique, évoque, lui, « une révolution urgente et obligatoire » dans ce milieu de la construction, qui doit devenir vertueux. Un autre aspect central est abordé : celui de lier de manière structurelle les avancées environnementales dans la construction aux avancées sociales. Que les progrès servent conjointement aux habitants et au monde qui les entoure.
Publié le Samedi 12 Mars 2022 Joseph Korda, collectif logement CGT.
Vous retrouverez l’intégralité des 3 tables rondes ci-dessous :
Table ronde n°1 : Crise du logement – Peut-on encore construire ?
Table ronde n°2 : Bâtiment : le mur des conditions de travail.
Table ronde n°3 : Eco-construction : Comment la développer à grande échelle.