Stratégie vaccinale et réduction des inégalités de santé

La Conférence Nationale Santé, dans le cadre de la réponse à la saisine du ministre des santé et de la solidarité du 3 décembre 2020, a  adopté en commission permanente du 17 mars un 2ème avis sur la vaccination.

Cet avis sur “la stratégie vaccinale et la réduction des inégalités de santé” reprend, dans ses analyses et recommandations, les revendications de la CGT concernant la question centrale de la disponibilité en doses de vaccin suffisantes.

Elle pointe “la nécessité d’assurer leur fabrication sur des chaines de production industrielles relocalisées. Ceci peut impliquer qu’un recours au système des licences d’office soit mis en œuvre“.
Tout en précisant que la loi sur l’état d’urgence sanitaire votée au printemps par le Parlement, permet la réquisition des entreprises et le contrôle de la production.

Arnaud Faucon – Responsable du collectif santé INDECOSA-CGT

 


Synthèse

Le présent avis, le deuxième sur la thématique de la vaccination après celui du 29 janvier 2021, s’inscrit dans le cadre de la réponse de la Conférence nationale de santé (CNS) à la saisine du Ministre des Solidarités et de la Santé du 3 décembre 2020.

Un appel à contributions a été lancé auprès des membres de la CNS le 30 janvier 2021. Sur la base de l’analyse des 29 contributions reçues, l’avis a été élaboré puis adopté par les membres de la Commission permanente de la CNS, le 17 mars 2021.

A. Constat critique sur la période de janvier à février 2021

Le déploiement de la campagne de vaccination Covid-19 en France au cours des mois de janvier et février 2021 a été considéré comme peu anticipé, difficile, laborieux, manquant de clarté, insuffisamment soutenu quant à la mobilisation des moyens existants. Il a été source de vives inquiétudes pour la population et les professionnels de santé et de l’accompagnement.

B. Lutter contre les inégalités de santé : une impérieuse nécessité éthique et politique réaffirmée par la CNS.

Après plus de 2 mois de mises en œuvre de la campagne de vaccination, la CNS considère qu’il est temps d’envisager les réajustements ou les réorientations de la campagne de vaccination au regard d’un prisme qui ne soit pas seulement biomédical mais également éthique et démocratique, social et politique.

C. Des stratégies vaccinales attentives à réduire les inégalités de santé

Le virus du SRAS-CoV-2 est nouveau, mais les disparités socio-économiques ne le sont pas.
Il est urgent de prendre en compte toutes les inégalités en matière de santé et leurs déterminants pour mettre en œuvre des interventions équitables. Sans une volonté affirmée sur ce sujet dans la lutte contre cette pandémie, le renforcement des inégalités
entre pays et au sein d’un même pays se poursuivra.

D. Analyse des contributions et recommandations

➢ Assurer la disponibilité en quantité suffisante des vaccins au regard des besoins

La pénurie en vaccin est à la source des inégalités entre pays et au sein d’un même pays.

Face à la gravité et à l’urgence de la situation, il convient aujourd’hui de mobiliser le cadre juridique nécessaire pour organiser une production mondiale massive de vaccin.

1. Possibilité d’un recours au système des licences d’office.
2. Transparence sur les coûts de production et d’acquisition des différents vaccins.
3. Collaboration pour un accès mondial et équitable aux vaccins.
4. Faire clairement le choix de la santé publique.

➢ Consolider la stratégie de priorisation des publics cibles de la vaccination

L’âge et les affections préexistantes ont été progressivement pris en compte dans l’identification des publics prioritaires pour le déploiement de la stratégie vaccinale (réf. HAS) contre la Covid-19 au regard de la gravité de cette maladie chez les personnes considérées comme fragiles et au regard des caractéristiques des vaccins disponibles.
Les métiers et les activités professionnels exercés conditionnent également le niveau d’exposition au SARS-Cov2 et donc le risque, c’est-à-dire la probabilité de se contaminer et de développer la Covid19 et de possibles formes graves. La question de la priorisation de la vaccination des personnes exerçant ces métiers ou professions est nécessairement l’objet de débat. Celui-ci a été tranché (positivement), mais tardivement, concernant les professionnels de la santé et de l’accompagnement des personnes.

1. Renforcer l’accessibilité en termes de déplacement et de prise de rendez-vous sur tout le territoire.
2. Elargir les « opportunités » de vaccinations.
3. Assurer une communication claire et compréhensible permettant à chaque personne d’identifier sa situation au regard de la priorisation.
4. Poursuivre la réflexion sur les publics prioritaires en lien avec la disponibilité croissante des vaccins.
5. Accroître la couverture vaccinale des professionnels de la santé et de l’accompagnement des personnes.
6. Anticiper la question du choix du type de vaccin.

➢ Adapter la stratégie de vaccination aux territoires et aux populations

Le « territoire » interroge nos stratégies de santé au regard des dynamiques de circulations du virus selon les territoires considérés (taux d’incidence selon les départements ou les zones urbaines) mais aussi de la diversité géographique (milieu urbain ou rural), des différences de besoins et d’offre de santé ou encore des  caractéristiques ethnoculturelles présentent au sein de nos territoires notamment d’outre-mer.
La « population » recouvre différentes situations, celle d’un éloignement vis-à-vis des soins de proximité, celle de populations marginalisées comme les sans-abris, ou vulnérables comme les migrants ou les réfugiés politiques, ou encore celle de populations institutionnalisées.

1. Veiller à soutenir la participation active (au plus tôt) des personnes les plus fragiles, précaires ou à mobilité réduite.
2. Apporter une réelle attention à la qualité de la médiation et des pratiques d’ « aller vers ».
3. Prévoir l’accompagnement social et physique des personnes vulnérables.
4. Encourager la vaccination de toutes les personnes éligibles et volontaires dans une zone donnée.
5. Pour les personnes vulnérables à « domicile », structurer l’accompagnement concret à la vaccination.

➢ Lutter contre les préjugés, questionner les représentations et renforcer la formation

Il convient de privilégier une communication claire, loyale, compréhensible pour tous, en co-construisant les messages AVEC les habitants et les acteurs locaux (associations de professionnels de santé), et concernant des sujets pratiques (ex. : public prioritaire, délai
entre 2 doses, …).

1. Développer un service public d’information en santé sur la vaccination Covid-19, dans un contexte d’évolution rapide des connaissances, prenant en compte la diversité des niveaux de littératie en santé au sein de la population est nécessaire.
2. Sensibiliser et former à la littératie en santé, les professionnels intervenant dans le champ de la santé.
3. Faciliter l’identification et l’orientation de l’usager du système de santé vers des lieux ou personnes ressources, tels que les associations et représentants d’usagers.
4. Développer les métiers et dispositifs de médiation.

➢ Renforcer les autres facteurs facilitant le déploiement

Ces facteurs sont à la fois en termes économique, technologique, organisationnel et de gouvernance. Ils sont, ici, esquissés et seront approfondis dans le cadre d’un prochain avis de la CNS.
1. La prise en charge par la solidarité nationale de l’accès au vaccin est une mesure essentielle. Cependant, elle ne suffit pas à éviter le renoncement aux soins.
2. La fracture numérique doit être prise en compte dans la stratégie vaccinale afin de ne pas laisser de « coté » une part de nos concitoyens.
3. Le sujet du « passeport vaccinal », ou encore du « pass santé » a été soulevé, conditionnant l’accès à certains services ou aux voyages. Un tel sujet nécessite un débat public et une large consultation (Parlement, Instances de démocratie en santé).
4. La crise sanitaire actuelle, en s’inscrivant dans la durée, tend à rajouter d’importants phénomènes de détresse morale et psychologique. La prise en charge et l’accompagnement de ces situations s’imposent.
5. L’organisation et la gouvernance de la campagne vaccinale, tant au niveau national que local, doivent privilégier la concertation avec l’ensemble des acteurs concernés et doivent éviter leur division ou leur mise en concurrence. Elles doivent également s’appuyer sur les instances de démocratie en santé.

E. Conclusions

➢ Une lecture biomédicale de la pandémie privilégiée au dépend d’une lecture sociale ou politique.
Comme le rappelait Hannah Arendt : « La principale caractéristique de cette vie spécifiquement humaine, dont l’apparition et la disparition constituent des évènements de ce monde, c’est d’être elle-même toujours emplie d’évènements qui à la fin peuvent être racontés, peuvent fonder une biographie ». La valeur de la vie humaine comme fait naturel et biologique prédomine au dépend de la valeur de la vie comme fait social et politique.
Cette difficulté à appréhender la pandémie de la Covid-19 dans sa dimension sociale, dans son vécu par chacun, se retrouve dans notre (in)capacité à décrire cette réalité sociale, ce vécu, les données recueillies ne le permettant pas ou bien l’intérêt et/ou la volonté
manquant.

➢ Une approche cloisonnée des mesures de lutte contre la pandémie prédomine.
Ce cloisonnement amène à prendre soin d’un individu isolément plutôt que dans son milieu de vie (aidant, entourage proche, relation, institution, groupe social) ou à raisonner en épisode de soins plutôt qu’en parcours de santé.

➢ Une stratégie vaccinale qui devient l’alpha et l’oméga de la lutte contre la pandémie.
Cette valorisation de l’outil vaccination ne doit pas se faire au dépend des autres mesures de lutte contre la pandémie que ce soient les gestes barrières, la stratégie « Tester, Alerter, Protéger », ou les moyens thérapeutiques. Il en est de même du respect des droits humains,
des droits des usagers du système de santé et des principes éthiques qui prévalent dans les soins.

De nombreuses inconnues persistent et ne doivent pas nous faire oublier ceux pour qui la Covid-19 s’est inscrite durablement dans leur organisme (situation de « covid-long » ou « complications à long terme de la covid-19 ») et dont il faut assurer la prise en charge.

CNS/Synthèse – Avis 17 mars 2021/E.Rusch 

Ci-après intégralité de l’avis