Accompagner et encadrer les influenceurs
Le Ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a lancé une concertation pour mieux accompagner et encadrer les influenceurs.
Alors que le secteur de l’influence prend une ampleur croissante, générant de la créativité et de la valeur, certains agissements négatifs nuisent à l’image du secteur et peuvent mettre en danger les consommateurs. C’est pourquoi le Ministère de l’économie a décidé de lancer une démarche de co-construction avec le secteur des influenceurs / créateurs de contenus et le grand public.
Indecosa CGT a fait part de son point de vue :
Que les autorités publiques et les agences rattachées commencent à se soucier du statut des influenceur.euse.s et de leur impact sur les consommateurs ne peut que nous satisfaire. En effet, nous nous étions fortement inquiétés d’entendre de hauts représentants de l’État nous expliquer sans réserve, notamment sur leur indépendance vis à vis des marques, que ces influenceur.euse.s prendraient demain le rôle de conseils auprès des consommateurs.
Nous nous sommes tout d’abord posé la question « qu’est qu’un.e influenceur.euse ? ». Qu’est ce qui définit ce statut ? A partir de quand peut-on estimer que l’on devient influenceur.euse ?
Pour tenter de répondre à cette question nous avons pris contact avec plusieurs d’entre eux. Et très rapidement il est apparu que le terme même d’influenceur.euse renvoyait à des réalités multiples. Au fil de nos recherches et contacts nous en avons distingué trois types, sans exclure la possibilité d’en définir d’autres par la suite, ou d’affiner certains sous-types.
Les « influenceur.euse.s stars »
Ce sont des influenceur.euse.s qui disposent de très larges réseaux d’abonnés, certains pouvant en afficher plusieurs millions. Ils se caractérisent par une très large production de supports vidéos, leur statut de « stars » imposant qu’ils occupent en permanence la scène médiatique numérique. Ils peuvent être spécialisés (sport, cuisine, soins esthétiques, voyages, modes…) ou au contraire de type généraliste, visant au divertissement.
Leur recul face aux marques peut être largement interrogé. En leur temps, deux enfants, « Swan et Néo », ont marqué des milliers d’abonnés souvent (très) jeunes en faisant la promotion plus ou moins directe de jeux, de jouets, de parcs d’attractions. Il s’agissait là de promotion d’articles en lien direct avec le sujet du divertissement (des jeux et défis en famille filmés à l’envie) mais ce n’est pas toujours le cas. On voit régulièrement des influenceur.euse.s faire la promotion de matelas ou d’ordinateurs sans que cela ne soit en lien direct avec le contenu de leurs vidéos. C’est là l’exemple type de l’utilisation d’une large notoriété acquise dans le diversité mis au service d’intérêts mercantiles sans lien avec l’activité réelle de l’influenceur.euse.
Ce groupe connaît des affaires retentissantes. L’une des dernières en date concernait David Michigan, un influenceur.euse qui a du faire face à de multiples accusations affirmant qu’il aurait acheté ses abonnés. Car, oui, il est possible d’acheter des abonnés !
Par exemple, une entreprise française dont le site sera très facile à trouver avec une simple recherche générale sur le net, vous propose 15000 votes Tik Tok pour un peu moins de 220 €. Les 20 000 « J’aime » twitter demanderont dans les 460 €. Peu importe que ces appréciations soient fictives : l’essentiel est de pouvoir vous fabriquer une notoriété factice, qui permet ensuite de proposer d’autres produits. On joue sur un biais cognitif : « Si cela intéresse beaucoup de personnes, alors c’est que cela doit être intéressant ! ». Ce biais est régulièrement utilisé dans les dark patterns identifiés. Dans le cas de David Michigan, il s’agit de vendre des formations de développement personnel pour, par exemple, « Vivre dans l’abondance », formations qui ont même, pendant un temps, été éligibles au compte personnel de formation.
Nous avons donc là un groupe avec une très large écoute auprès d’un public pas nécessairement très averti (beaucoup d’enfants, futurs adultes consommateurs, et de jeunes les suivent sur les réseaux sociaux) et des motivations très diverses, mais qui, pour assurer leur existence matérielle et assumer les frais que leur production constante impose, utilisent leur notoriété. S’ils peuvent avoir une approche critique vis à vis des produits qu’ils testent ou commentent dans leurs supports, il n’en est parfois pas du tout de même pour les produits qui leur assurent des recettes publicitaires, que ce soit à travers des publicités directes ou de par le système de vidéos monétisées (i.e avec de la publicité) des principales plateformes.
Les « pirates de youtube ».
Ce sont des influenceur.euse.s qui vivent souvent dans des conditions matérielles beaucoup plus difficiles que la première catégorie. Le nom proposé en type vient d’eux mêmes.
On les retrouve dans des domaines très spécialisés comme l’histoire, la linguistique, la géopolitique…
Ils présentent souvent deux traits saillants ; une farouche volonté d’indépendance et une ambition émancipatrice. Même s’ils produisent eux aussi de nombreux supports (pas autant que le premier groupe, nécessairement), ils accordent beaucoup plus de soins aux contenus et aux messages qu’ils véhiculent.
Leur rapport à l’argent est large. Certains utilisent les vidéos monétisées, d’autres s’y refusent. Certains font des promotions directes d’articles (mais souvent en prenant le soin de les distinguer de leur coeur d’activité, à l’inverse du premier type exposé), d’autres se l’interdisent. Beaucoup travaillent de façon indépendante, en solo ou dans le cadre de partenariats avec d’autres indépendants, quelques uns sont parvenus à monter une petite équipe salariée autour d’eux. A ce propos, plusieurs ont témoigné de leurs efforts actuels pour se structurer sur un principe syndical (c’est à dire en créant une structure commune d’intérêts).
Ce qui est intéressant dans ce type c’est qu’il travaille sur des publics très ciblés. De fait, même s’il n’entre pas dans la même fourchette d’abonnés (quelques dizaines de milliers contre des centaines de milliers voire des millions pour les stars), il est très régulièrement démarché par les agences d’influenceur.euse.s qui cherchent à y placer des promotions publicitaires. Cet intérêt s’explique par une segmentation des populations assez simple à réaliser (même si parfois un peu simpliste). Cette utilisation (ou tentative d’utilisation) ciblée est bien sûr visée par des marques, mais pas uniquement. Lobbies (campagne de popularité) et même services de l’État (pour des recrutements dans certains secteurs) peuvent y avoir recours.
Si ce type d’influenceur.euse.s est très conscient de son rôle, sa précarité financière peut facilement le conduire à taire durablement ou ponctuellement ses principes. Il est cependant possible d’envisager un dialogue entre ces influenceur.euse.s et le secteur de la consommation (État et associations de consommateurs) à la condition toutefois de leur permettre de se structurer et de leur assurer une forme de stabilité financière. Or cette dernière condition entre en contradiction flagrante avec la logique libérale actuelle qui voit en l’influenceur.euse un vecteur indépendant de publicité libre de toutes charges, voire même d’obligations (ou très peu), pour les marques et même pour le pouvoir politique en place.
La « masse indépendante »
Et justement, voilà bien le profil général de notre dernier type. Une masse d’influenceur.euse.s sans cesse renouvelée, qui se lance, s’arrête, reprend… A l’échelle des individus, c’est un éternel recommencement. A l’échelle du groupe, c’est un volume absolument incroyable (certains diront même effrayant) d’influenceur.euse.s allant des blogs à youtube en passant par tous les réseaux sociaux possibles, imaginables et à imaginer.
La possibilité donnée aux individus de s’exprimer en direct ou en différé sur de multiples sujets a explosé dans les années 2010 avec le développement des réseaux mobiles, mais sans forcément être associée à une très large écoute.
Les réussites de certains (cf. premier type) font rêver. Argent, reconnaissance, apparence de vie agréable à faire ce que l’on aime, indépendance… Tout y est pour attirer de nombreuses personnes, jeunes comme moins jeunes.
Les univers virtuels (on parle aussi parfois de plateformes globales) sont des espaces numériques où il est possible de créer ses propres activités et les proposer en accès payant (souvent via des monnaies virtuelles propres à la plateforme, mais qui s’acquièrent essentiellement contre des monnaies réelles), laissant miroiter l’espoir d’en vivre et /ou de s’y faire connaître. Ce qui, en réalité, ne concerne qu’une infirme partie des utilisateurs.
Dans cet agrégat de motivations et personnalités extrêmement variées, le mot clé est : visibilité. Et pour être visible sur les supports numériques, il faut y être présent. Cela suppose d’y consacrer une grande partie de son temps. Pour toutes les personnes qui ne disposeront pas d’un moyen de subsistance indépendant de leur activité, on comprend aisément qu’elles puissent avoir du mal à refuser une proposition financière, quelle qu’elle soit (tout en restant légale, s’entend).
Encore une fois, si cela ne se développe pas, c’est bien parce que ce groupe n’a précisément pas un grand impact, mais le travail des agences d’influenceur.euse.s consiste justement aussi à repérer les potentiels prometteurs.
En résumé.
Le consommateur se retrouve confronté à trois grands types d’influenceur.euse.s :
• Les « stars », qui produisent beaucoup, monétisent généralement leurs vidéos et vivent de la vente de produits (soit réalisés par eux, soit via des supports publicitaires). Seule une structure disposant de moyens conséquents pourra assurer le contrôle de ces influenceur.euse.s pour en prévenir les abus.
• Les « conscientisés » qui ont un regard beaucoup plus critique (au sens premier du terme) sur la promotion de biens et services, mais dont la fragilité financière reste une menace permanente sur leur indépendance avérée. Concernant ce groupe, la réponse porte moins sur un contrôle de la politique publicitaire que sur un subventionnement pour lui permettre de diffuser ses supports, en complet respect des principes de la République.
• La masse de celles et ceux qui rêvent de ce que ce monde des influenceur.euse.s suscite dans l’imaginaire collectif et qui tentent de s’y lancer. A ce niveau, c’est sur l’éducation qu’il faut miser. Le principe d’une certification au-delà d’un certain niveau d’abonnés pourrait être étudié, certification au cours de laquelle on pourrait faire intervenir les associations de consommateurs afin d’attirer l’attention des candidats sur la responsabilité pénale et morale qu’ils portent à travers les affirmations publicitaires.
Dans le cadre des dernières propositions de l’UE sur le commerce numérique et la protection des consommateurs, il est fait référence à des “signaleurs de confiance”, sans autres précisions sur leur nature exacte. Si les États Membres parviennent à faire du marché numérique un espace dans lequel le consommateur produit et partage volontairement des données contribuant à une plus grande efficience économique, cela entraînera nécessairement un recours accru aux supports dématérialisés et à la publicité associée.
Dès lors, pour les entreprises, le recours à des vecteurs publicitaires sans charges (des influenceur.euse.s « indépendant.e.s ») ira aussi croissant. D’autant qu’on l’a dit, lobbies divers et structures d’États sont aussi sur ce créneau.
Les déclarations de l’UE sur ce marché numérique ne font quasiment aucune référence aux associations de consommateurs, ce qui n’est fait pour nous rassurer sur les intentions réelles qu’elles recouvrent.
Il serait pourtant nécessaire, face à de telles évolutions et surtout la rapidité du développement de leurs ramifications et conséquences indirectes, qu’un comité de suivi doté de moyens réels soit mis en place et ouvert aux associations de consommateurs et aux influenceur.euse.s dit « conscientisés », afin de construire un corps de normes adaptées et évolutives propres à répondre aux innombrables abus auxquels nous faisons face dès aujourd’hui et encore plus demain.
INDECOSA-CGT saurait y trouver pleinement sa place.
François Billem. Indecosa CGT