Interpellation de la défenseure des droits par Indecosa CGT
Contre la politique de ségrégation
sociale de la clientèle engagée
par BNP PARIBAS
Madame la Défenseure des droits,
INDECOSA-CGT, association de consommateurs agréée, souhaite vous saisir de sa très vive préoccupation et de ses plus grandes inquiétudes, en matière d’inclusion bancaire des populations fragiles, suite à la volonté exprimée par BNP Paribas de mettre en place un projet pilote visant à orienter les clients financièrement fragiles vers des agences bancaires BNP spécialisées ou vers des bureaux de tabac proposant le Compte Nickel (société filiale de BNP Paribas).
Ce projet a été révélé par le journal LE MONDE, dans un article du 13 décembre 2021, que vous trouverez en pièce jointe.
La Défenseure des droits est une institution indispensable à la protection de nos droits et libertés et à la garantie de l’Etat de droit et nous tenons à saluer l’importance de l’action de cette institution en matière de droit à l’inclusion bancaire, notamment à travers sa décision cadre MSP-MLD-2016-179 du 24 novembre 2016 relative au droit au compte.
Il ressort, notamment, de cette décision cadre que : « Si la banque n’est pas tenue de motiver son refus d’ouverture de compte, elle doit cependant informer le demandeur de l’existence de ce recours auprès de la Banque de France et fournir au demandeur une attestation de refus d’ouverture de compte. Elle doit également lui proposer d’effectuer les démarches nécessaires auprès de la Banque de France … Le Défenseur des droits, après consultation du collège compétent en matière de lutte contre les discriminations et de promotion de l’égalité, recommande aux établissements de crédit de prendre les mesures nécessaires à garantir l’effectivité du droit au compte, en particulier en formant ses personnels et rappelle le cadre du dispositif du droit au compte afin de le porter à la connaissance du public. »
Sur la base de l’article du journal LE MONDE révélant l’existence d’un document interne annonçant la volonté de BNP Paribas d’orienter la clientèle fragile existante vers des agences bancaires spécialisées et la clientèle fragile, souhaitant ouvrir un compte bancaire auprès de BNP Paribas, vers des bureaux de tabac proposant le Compte Nickel ; nous nous interrogeons très fortement sur la manière dont BNP Paribas compte s’acquitter de ses obligations légales en matière d’inclusion bancaire.
Nous nous interrogeons d’autant plus fortement que BNP Paribas Réunion (Ile de la Réunion) s’est vue sanctionnée par un blâme et une sanction pécuniaire de 3 millions d’euros par la Commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dans une décision rendue le 5 novembre 2021. Il ressort de cette décision que cet établissement a été sanctionné en raison, notamment, de graves manquements relatifs à l’information des clients et au plafonnement des frais bancaires.
Voici quelques-unes des questions que nous nous posons et que nous souhaiterions voir étudiées :
- De quelle manière le projet de BNP Paribas, que nous assimilons à une politique délibérée de ségrégation sociale et financière de la clientèle modeste, est-il compatible avec les obligations légales en matière d’inclusion bancaire s’imposant à tous les établissements du secteur : droit au compte mais aussi offre spécifique (formule tarifiée à 3 euros par mois) devant être proposée à la clientèle fragile afin de plafonner les frais liés aux incidents bancaires et aux irrégularités de fonctionnement du compte ?
- Dans quelle mesure un tel projet est-il compatible avec l’objectif fixé dans la décision cadre émanant de votre institution visant à « garantir l’effectivité de la procédure de droit au compte » alors que les conseillers de BNP Paribas seront incités à orienter les clients fragiles, désirant ouvrir un compte, vers le compte Nickel accessible dans les bureaux de tabac (NB : la Cour des comptes dans son rapport de mars 2021 consacré aux politiques d’inclusion bancaire souligne que : «ces offres comprennent de nombreux frais et sont susceptibles de ne pas répondre pleinement aux besoins d’une population relativement fragile, composée à 70% de personnes dont le précédent compte a été clôturé pour cause d’incidents de fonctionnement ») ?
- Le projet pilote de BNP Paribas, s’il était déployé dans l’ensemble de son réseau, constituerait un précédent extrêmement grave à nos yeux, susceptible d’être dupliqué dans de nombreux établissements bancaires. Une telle « mise à l’écart » des clients fragiles par rapport au reste de la clientèle s’assimile à une véritable discrimination à caractère stigmatisant. Si tel était le cas, la politique d’inclusion bancaire des populations fragiles voulue par le législateur et soutenue par toutes les associations de consommateurs et de lutte contre l’exclusion, ainsi que par votre institution, en serait profondément impactée. En quoi exclure la clientèle fragile des agences bancaires courantes pour les orienter vers des agences bancaires spécialisées ou vers des bureaux de tabac proposant des formules de compte payants (alors que des services bancaires gratuits sont attachés au droit au compte) nettement plus onéreux que l’offre spécifique destinée à la clientèle fragile, peuvent-ils sérieusement et sincèrement contribuer à lutter contre l’exclusion bancaire dans notre pays ?
Nous vous remercions pour l’attention que vous porterez à ce courrier et nous vous prions de croire, Madame la Défenseure des droits, à l’expression de notre haute considération.
Christian KHALIFA, Président.
Réponse des services de la défenseure des droits :
Madame, Monsieur,
Vous avez attiré l’attention de la Défenseure des droits sur une décision de la banque BNP PARIBAS susceptible d’être discriminatoire en raison du lieu de résidence ou de la vulnérabilité économique de ses clients.
En effet, vous avez signalé un article du 13 décembre 2021, publié par le journal « Le Monde » faisant état d’un projet « pilote » de BNP PARIBAS, à compter 2022, dans la commune d’Aubervilliers, visant à répartir les clients dans deux agences distinctes, selon leur profil socio-professionnel : « les clients jugés peu autonomes seraient regroupés à l’agence des Quatre-Chemins ; ceux « à potentiel » iraient dans le quartier de la mairie. »
Or, les deux agences situées respectivement au 9 avenue de la République, dans le quartier du centre-ville et au 55 avenue Jean Jaurès, dans le quartier des Quatre Chemins, accueillaient jusqu’ici l’ensemble de la clientèle, sans distinction. Sous prétexte d’offrir aux clients un accompagnement personnalisé, un tel projet établirait une forme de discrimination et de ségrégation sociale entre les clients.
Par ailleurs, une telle répartition créerait des difficultés aux usagers, affectés, sans en avoir eu le choix, à une agence éloignée de leur zone de résidence.
Il serait à craindre également que les usagers victimes de difficultés économiques soient stigmatisés par leur lieu de résidence et soient, de
surcroit, renvoyés à un service de moindre qualité, contrairement aux clients plus aisés qui bénéficieraient d’un service privilégié.
Aux termes de l’article 4 de la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011, le Défenseur des droits est chargé notamment, de « lutter contre les discriminatoires, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l’égalité ».
Aussi, nos services se sont d’ores et déjà rapprochés de la banque BNP PARIBAS pour l’interroger.
Il a été convenu que l’établissement bancaire partage avec mes services, les premiers résultats et éléments d’analyse de ce projet, puis dans un second temps nous communique les enseignements durables et les suites données à ce test.
Nous vous remercions pour votre témoignage et nous restons vigilants sur la question.
Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées.
La défenseure des droits
8 avril 2022