Non au financement de l’armement et des centrales nucléaires avec nos LIVRETS A
OBJET : Demande d’entrevue – Financements de l’armement et des centrales nucléaires (à partir du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire – LDDS)
Monsieur le Président,
Nous vous demandons une entrevue alors que se multiplient actuellement des initiatives, en faveur du financement de l’armement et des centrales nucléaires à partir des fonds du Livret A et du LDDS, qui, si elles se concrétisaient, fragiliseraient grandement, pour des raisons différentes, le modèle économique et démocratique de l’épargne administrée et son orientation prioritaire vers le financement du logement social ainsi que d’autres investissements d’intérêt général : renouvellement urbain (stades, crèches …), rénovation énergétique des bâtiments et économie sociale et solidaire.
Nos organisations associatives, syndicales et politiques se sont rassemblées fin 2023 pour exprimer publiquement notre opposition à l’article de loi visant à financer une partie de l’industrie de l’armement à partir des fonds du Livret A laissés à la disposition des banques (soit 40 % des encours représentant environ 220 milliards d’euros sur un montant global de 550 milliards d’euros).
Cet article de loi a été introduit au dernier moment, dans le projet de loi de finances 2024, par voie d’amendement parlementaire et donc sans aucune étude d’impact préalable permettant d’éclairer le vote des élus.
NB : Il convient de souligner que la remise en cause de la centralisation à 100 % des fonds du Livret A auprès de la Caisse des dépôts et consignations, intervenue en 2009 au moment de la banalisation de sa distribution dans tous les circuits bancaires, ne répond à aucune demande de la Commission de Bruxelles mais à une concession du gouvernement de l’époque au lobby bancaire qui mériterait aujourd’hui d’être évaluée et réexaminée au regard des besoins d’intérêt général.
Notre opposition s’est, notamment, traduite, par la mise en ligne, courant décembre 2023, d’une pétition intitulée : « Livret A : Non au financement de l’armement, Oui au financement du logement social et de la transition écologique ! » qui a recueilli un peu plus de 25 000 signatures à ce jour.
Lors du vote en première lecture du projet de loi de finances pour 2024 par l’Assemblée nationale, le gouvernement a accepté, en recourant à l’article 49-3 de la constitution, de soutenir cet amendement parlementaire qui a reçu ensuite le soutien de la majorité sénatoriale contre la volonté exprimée par la Commission des finances de cette assemblée. Cette dernière ayant qualifié cet article de loi de cavalier budgétaire. Cavalier budgétaire qui a finalement été censuré par le Conseil constitutionnel qui a estimé que, comme lors du vote de la loi de programmation militaire à l’été 2023, le fléchage d’une épargne privée restant dans le bilan des banques n’a aucune incidence sur la dépense publique.
Puis, début janvier et de manière quasi immédiate, une nouvelle proposition de loi visant à financer l’industrie de l’armement à partir des fonds du Livret A a été déposée au Sénat et plusieurs députés ont manifesté publiquement la volonté de faire de même à l’Assemblée nationale.
Ces initiatives parlementaires ignorent délibérément la position exprimée par les Français dans un sondage réalisé par l’institut YouGov pour le site d’information financière MoneyVox. Les Français se montrent majoritairement hostiles à l’utilisation de leur épargne pour financer la défense nationale. Ce sont ainsi 54 % des personnes interrogées qui se disent défavorables à une telle mesure. Seuls 29 % des sondés sont en faveur d’un tel fléchage de l’argent accumulé sur les Livrets A, LDDS et Livrets d’épargne populaire (LEP).
Pour notre part, nous considérons comme totalement inacceptable que l’épargne réglementée dite “épargne populaire” soit utilisée pour financer des activités d’armement, dont certaines sont interdites par le droit international. Ces fonds, ont vocation à répondre aux besoins de la population à travers, notamment, le financement du logement social et de la transition écologique.
Notre pays est confronté à une crise du logement gravissime. Il y a 4,15 millions de personnes mal logées en France et 330 000 sans domicile fixe (source : Fondation Abbé Pierre). La Fondation a également identifié 12,1 millions personnes en situation de fragilité financière par rapport au logement. Celle-ci intervient dans un contexte d’inflation (notamment alimentaire) qui atteint des niveaux inconnus depuis plusieurs décennies.
Aussi, il y a urgence, en métropole et en outremer, à engager et financer un véritable plan d’urgence en matière de construction de logements sociaux pour répondre aux besoins de différentes populations : hébergements d’urgence, foyers pour travailleurs immigrés, jeunes travailleurs, parents isolés et femmes victimes de violence conjugale, résidences pour étudiants, logements pour les ménages avec ou sans enfants, résidences autonomie …
D’autre part, s’agissant de la transition écologique, contrairement aux engagements publics pris par le ministre Bruno Le Maire, le LDDS finance toujours des énergies fossiles et des industries toxiques. L’appellation “Livret de développement durable et solidaire” est aujourd’hui manifestement trompeuse. Les fonds du Livret A et du LDDS doivent faire l’objet d’un traçage précis et incontestable afin de s’assurer que l’épargne réglementée réponde bien aux besoins sociaux et écologiques conformément à sa vocation.
Mais au-delà de la question du financement de l’armement, un autre projet sollicitant le recours aux ressources du livret A, nous inquiète, pour des raisons différentes. Là encore sans aucune étude d’impact préalable soumise à débat public et contradictoire, le gouvernement avec le soutien du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations envisage d’orienter l’épargne du Livret A vers le financement de la construction de réacteurs nucléaires de nouvelle génération (6 dans unpremier temps et possibilité d’en construire 8 autres). Pour les six premiers, le chantier pourrait durer 25 ans, pour une somme approchant 60 milliards d’euros, selon les estimations (51,7 milliard d’euros + 4,6 milliards d’euros en cas de difficulté).
Rappelons qu’en juin 2022, dans ses travaux portant sur l’épargne réglementée, la Cour des comptes s’interrogeait sur la pertinence de l’utilisation du fonds d’épargne pour financer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et est arrivée à la conclusion suivante : « Si la durée et le niveau de risque de tels financements peuvent correspondre aux caractéristiques de stabilité des ressources de l’épargne réglementée […] d’autres pistes probablement plus proches de l’expertise de la Cour mériteraient d’être étudiées, concernant par exemple les équipements publics destinés à prévenir les effets du réchauffement climatique. On peut évoquer par exemple les investissements élevés qui seront nécessaires pour protéger de nombreuses communes du littoral ou de l’intérieur face au risque de montée du niveau de la mer ou de débordement des cours d’eau. Les solutions de couverture par les assurances risquent d’être insuffisantes et il est probable que les compagnies d’assurance exigent des primes à des tarifs de plus en plus élevés voire refusent purement et simplement de couvrir certaines zones ou certaines communes». Les récentes inondations dans le Nord Pas-de-Calais et les réévaluations des tarifs pratiqués par les assurances, en matière de couverture des catastrophes naturelles, confirment cette analyse.
Enfin, les conditions de lancement, au plus tard le 1 er juillet 2024, du plan d’épargne action climat (PEAC) nous interpellent. Ce plan d’épargne, visant à mobiliser l’épargne privée et engager les jeunes dans la transition climatique, est destiné aux moins de 21 ans. Le PEAC ne fera l’objet d’aucune centralisation, même partielle, auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Il devrait bénéficier « de conditions fiscales exceptionnelles » selon le gouvernement, d’un taux supérieur au Livret A et son plafond sera identique à ce dernier (22 950 euros). Alors que le Livret A est uniquement distribué par les banques, le PEAC sera distribué par les banques, les assurances, les mutuelles et les institutions de prévoyance. De toute évidence, il entrera en concurrence directe avec le Livret A même s’il ne disposera pas de l’entière liquidité de ce dernier.
Quel sera l’apport réel du PEAC au financement de la transition énergétique et écologique ? Si on se base sur l’actuel LDDS, censé participer au financement du développement durable, qui finance à hauteur de 80 % des PME sans aucune exigence en matière environnementale en retour, il y a tout lieu d’être inquiet.
Pour toutes les raisons qui précèdent, nous sollicitons une entrevue afin d’examiner avec vous quelles sont les initiatives parlementaires envisageables de nature à préserver et renforcer le modèle économique et démocratique de l’épargne administrée au service de l’intérêt général.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre sincère considération.
Pour le Collectif
Loïc DAGUZAN
Signataires :
Abolition des armes nucléaires-Maison de Vigilance – Action des Citoyens pour le Désarmement Nucléaire (ACDN) – ALTERNATIVE MUTUALISTE – ATTAC France – CGT Banque de France – CGT Caisse d’épargne Île-de-France – CNAFAL – Confédération Nationale du Logement (CNL) – Convergence Services Publics – Ensemble ! Mouvement pour une alternative de gauche écologique et Solidaire – GDS (Gauche démocratique & sociale) – ICAN France – INDECOSA-CGT (national + associations départementales : Ain, Aveyron, Corrèze, Hautes-Pyrénées, Indre-et- Loire, Landes, Loire, Paris, Puy-de-Dôme, Var, Vaucluse, Yonne) – Le Mouvement de la Paix – MIR-FRANCE (Mouvement international de la Réconciliation) – Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN) – Mouvement National de Lutte pour l'Environnement (MNLE) – Observatoire des armements – Réseau “Sortir du nucléaire” – Résistance Sociale – SNUP HABITAT – Stop Fuelling War (Cessez d’alimenter la Guerre) – STOP PRÉCARITÉ – SUD PTT – Syndicat CGT des Retraités Caisse d’Épargne – Union des familles laïques (UFAL) – Union des Syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts (USCD CGT) – Union pacifiste de France – Université Européenne de la Paix.