Pesticides : Sciences ou lobbies il faut choisir !
Scientifiques et professionnels de santé interpellent le premier ministre
Lettre ouverte au gouvernement français, aux parlementaires nationaux
et européens
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Alors que des menaces de plus en plus précises pèsent sur l’ANSES et qu’un projet « omnibus » de la Commission européenne vise à supprimer l’obligation de ré-évaluation des pesticides, nous — chercheur·ses de diverses spécialités, professionnel·les de santé (sage-femmes, médecins généralistes ou spécialistes, infirmier.es de santé publique) — souhaitons alerter les pouvoirs publics et demandons une entrevue au Premier Ministre.
Pesticides : sciences ou lobbies il faut choisir !
De nombreuses et nombreux scientifiques et soignants, se sont émus lors du projet de loi Duplomb, de la prise en compte des connaissances disponibles concernant l’impact des pesticides sur le vivant, et de l’absence de débat éclairé ayant conduit à l’adoption de la loi. Vingt-deux sociétés savantes, les dirigeants d’associations nationales renommées œuvrant contre le cancer, l’Ordre des médecins, et un collectif de près de 1300 scientifiques ont alerté sur le fait que les données émanant des organismes de recherche publique (INSERM, INRAE, IFREMER,CNRS..) portant sur les effets des pesticides sur la santé humaine et sur la biodiversité et reflétant un consensus international, ne pouvaient être ignorées.
Cette mobilisation inédite a été suivie d’une mobilisation citoyenne d’ampleur puisque plus de deux millions de personnes ont signé une pétition sur le site officiel de l’Assemblée nationale.
Au-delà de la seule loi Duplomb, cette mobilisation défendait une application plus rigoureuse du règlement européen 1107/2009 et notamment l’exigence que les agences ne soient plus uniquement dépendantes des données fournies par les industriels, sans pouvoir réaliser de contre-expertise, et que la littérature scientifique internationale, indépendante et évaluée par des pairs, soit intégrée dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché (AMM) ou de renouvellement. Des scientifiques ont aussi porté l’exigence d’une évaluation de la toxicité chronique des formulations commerciales (c’est à dire de ce qui est réellement épandu dans les champs) et de leur potentialisation par effet cocktail. Pour rappel, l’évaluation des risques se fait actuellement uniquement substance par substance ce qui est un non-sens au regard du comportement des produits chimiques sur le vivant.
Le non-débat auquel nous avons assisté en France autour de la loi Duplomb a montré une défiance grandissante d’une partie des responsables politiques français envers la science. Cela a été démontré à nouveau de façon caricaturale par les pressions exercées sur les collègues co-autrices du récent rapport du Haut Commissariat à la Stratégie et au Plan (HCSP) afin de minimiser les conséquences de l’emploi des pesticides. Cette défiance s’exprime tout particulièrement envers l’Anses, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail : le blocage de celle-ci par certains syndicats agricoles en novembre 2024, n’a pas été condamné, bien au contraire, par la Ministre de l’Agriculture (voir ici). Plusieurs des récentes publications de l’agence, sa décision d’interdiction du S-métolachlore (retrait de l’AMM n°2160781 le 20/04/23) son avis concernant les nouveaux OGM (avis du 29/11/23), ont été vivement critiqués par des responsables gouvernementaux. Et si l’agence a échappé au « conseil d’orientation » initialement prévu par la Loi Duplomb, son indépendance est fragilisée par le décret n° 2025-629 du 8 juillet 2025 qui lui demande de prendre en compte une liste, fixée par le gouvernement, de pesticides prioritaires dans l’élaboration du calendrier des AMM. Le départ récent du Directeur Général de l’ANSES s’est effectué dans des conditions pour le moins punitives sanctionnant ainsi l’opposition sans équivoque qu’il a manifestée contre la création de ce conseil d’orientation.
La dérégulation en cours trouve aujourd’hui un relai au niveau européen où le Green Deal est attaqué ; un détricotage des avancées réglementaires de ces trente dernières années est en effet à l’œuvre, sous la pression de l’agro-industrie. Le commissaire européen à la santé Olivér Várhelyi a en effet présenté en septembre 25 un paquet législatif « Omnibus » sous couvert de simplification de la réglementation européenne sur les questions sanitaires, rapport rendu public le 4 novembre par la Commission. Il propose de revoir la procédure communautaire d’homologation des substances actives pesticides et biocides en supprimant les demandes de renouvellement régulières auxquelles doivent se plier les industriels, sauf pour la minorité des substances inscrites sur la liste des substances candidates à la substitution. Ce qui voudrait dire une homologation éternelle.
Nous, scientifiques, professionnels de santé sommes atterrés par le fait qu’une telle proposition puisse recevoir l’appui de responsables politiques, députés ou gouvernements des États membres. Combien de pesticides, initialement autorisés et mis sur le marché, révélés ensuite comme étant hautement toxiques à la fois pour la santé humaine et l’environnement, ont été (fort heureusement) retirés du marché ces dernières années lorsque leurs effets dramatiques ont été mis à jour, parfois avec des retards dommageables ? Les exemples ne manquent pas : des organophosphorés associés au troubles du neurodéveloppement, au chlordécone avec son impact persistant sur les corps et les écosystèmes antillais, en passant par les métabolites de pesticides et la pollution durable des sols et des eaux, ils illustrent les retards qui, pour protéger des intérêts économiques à court terme se payent, à terme, par des coûts collectifs de santé publique. De plus, ces produits nuisent à de nombreuses espèces non ciblées dans les écosystèmes, et, de fait, ont également des impacts négatifs considérables sur la productivité agricole ou sur la gestion de l’eau (pour mémoire, au moins un quart des captages d’eau potable français ont été fermés en 40 ans).
Si la proposition de la commission était adoptée, cela diminuerait de fait la capacité des agences à encadrer la mise sur le marché des pesticides et à surveiller leurs effets sanitaires. Alors que les données scientifiques, médicales, économiques convergent pour justifier un renforcement des agences, un renforcement des contraintes réglementaires sur les pesticides et, plus largement, un soutien aux alternatives aux pesticides. Nous demandons que le gouvernement français, les parlementaires nationaux et européens mettent tout en œuvre pour qu’une telle proposition ne soit jamais adoptée, et parallèlement, renforcent le rôle et l’indépendance de notre agence sanitaire, l’Anses, pour qu’elle ait les moyens d’une application licite du règlement 1107/2009. Une décision de la justice administrative (CAAP du 3/09/2025) exige d’ailleurs de l’État qu’il mette en œuvre une évaluation des pesticides conforme au « dernier état des connaissances scientifiques » et aux « exigences du règlement européen de 2009 » et lui enjoint de réexaminer les autorisations déjà délivrées. La récente décision conjointe du gouvernement et des fabricants de pesticides de se pourvoir en cassation contre cette mesure de santé publique est affligeante.
Les données scientifiques sur les effets cocktails, sur les divers mécanismes de cancérogénicité, sur les effets de perturbation endocrinienne, métabolique et neurologique en particulier lors de périodes de vulnérabilité majeure comme la grossesse, ne doivent plus rester bloquées à la porte des agences : ces effets mettent en danger la santé de millions d’européens et le fonctionnement des écosystèmes. Comment imaginer qu’un règlement censé « garantir un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement » puisse le faire, sans référence constante aux données scientifiques, alors que la contamination par les pesticides de tous les milieux est généralisée ?
Etant donnée l’urgence de la situation, nous demandons en outre une entrevue au Premier Ministre Sébastien Lecornu.