Une transition écologique à très petits pas.
Le Pacte vert Européen au service
de la transition écologique ?
En déclarant le Green Deal (ou Pacte Vert Européen pour les francophones), l’UE semblait vouloir mettre des moyens conséquents au service de la transition écologique. Annonçant un budget de 100 Mds € dans un premier temps, augmenté à 150 Mds € par la suite, l’UE s’engageait pour la période 2021-2027 à agir dans différents domaines essentiels : biodiversité, chaîne alimentaire plus durable, agriculture durable, énergie propre, industrie durable, construction et rénovation, mobilité durable, élimination de la pollution, action pour le climat.
Sur le papier, une telle déclaration ne pourrait que nous réjouir, mais qu’en est il dans la réalité ?
Tout d’abord, plusieurs de ces objectifs ne sont pas nouveaux (ou reposent sur d’autres objectifs plus anciens). N’ayant pas été remplis dans les temps visés par l’UE, ils réapparaissent dans cet ambitieux plan, dont on a reculé les dates d’échéance. Ce principe, assez régulier, qui consiste a constater tout ce qui n’a pas été accompli pour le replacer dans le temps en augmentant – un peu comme un lot de consolation ! – tous les objectifs chiffrés au passage, ne laisse au final qu’un sentiment de poudre aux yeux par les autorités européennes.
Ensuite, la crise sanitaire a fait revenir au grand galop l’idée même d’austérité, peu compatible avec de tels investissements. Le principe d’austérité a été un échec, constaté, reconnu même par les institutions les plus libérales, et pourtant, l’UE ne bruisse quasiment plus que de l’obsession du « remboursement de la dette publique ». Rien d’étonnant lorsque l’on comprend que cet épouvantail agité à la tête des européens sert ensuite à faire accepter les réformes les plus rétrogrades au nom d’une prétendue gestion saine, dont le seul effet réel sera de permettre aux très riches d’être encore plus riches, et aux plus pauvres, d’être encore plus nombreux…
Enfin, la transition écologique n’est absolument pas appelée par le patronat, qui n’y voit globalement qu’une contrainte supplémentaire. A peine la crise sanitaire déclenchée, que celui-ci courait à la rencontre de la Commission Européenne, toujours prompte à lui tendre une oreille compatissante, pour lui demander de suspendre l’ensemble des normes environnementales dans les diverses industries, afin de « ne pas rendre leur situation plus difficile encore »… Autant dire qu’avec un tel état d’esprit, la transition écologique, hors cadre contraignant, a bien peu de chances (voire aucune) de se produire en temps utiles…
Notre association observe donc avec intérêt, au-delà des déclarations tonitruantes, les actes engagés par la Commission Européenne. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que nos craintes paraissent se confirmer à ce jour.
Une rencontre, début 2021, initiée par l’ECU (European Consumers Union)* dont nous tenons la vice-présidence, a porté sur les intentions de l’UE concernant la consommation (le Consumers Agenda 2030). Si les sempiternelles flatteries sur « le rôle essentiel des associations de consommateurs sur le terrain » ont bien été au rendez vous, dès que les dites associations ont pu s’exprimer sur leur situation réelle, le beau château de cartes de la communication officielle s’est aussitôt effondré. Partout en Europe, les associations font le même constat : avec la globalisation et la digitalisation, la consommation prend des aspects de plus en plus complexes, et les associations disposent de moins en moins de moyens. Une association italienne, Movimento Consumatori, présente ce jour là, a même directement interpellé la représentante de la Commission Européenne sur cet écart hypocrite entre les discours flatteurs tenus et l’absence de moyens pour soutenir l’action des associations… sans la moindre réaction ni réponse de celle-ci.
Nous avons pu voir ces derniers temps fleurir des projets européens reliés à ce plan global : Consumer Pro, Nudge, Farm to fork (ce dernier restant encore à découvrir concrètement pour nous)…
Nous en retenons surtout que ces projets s’adressent à des « professionnels » (BEUC** en tête) du projet européen, qui touchent de larges subventions à travers leurs participations.
Mais plus marquant encore, tous ces projets ont une caractéristique commune : ils ont une volonté éducative. Pour l’UE, l’important est donc d’éduquer les consommateurs, de les former. Cela n’est pas un problème en soi, bien au contraire, mais cela le devient si on ne retient que cet aspect des choses.
En effet, la question écologique n’est pas que liée à votre utilisation trop fréquente de la voiture, à trop d’appareils électriques branchés à la maison ou encore au volume d’eau que vous utilisez pour votre douche. Il faut aussi, et même surtout, se poser la question des normes environnementales pour l’industrie, celle des services publics de l’énergie, ou encore la volonté des états membres et de l’UE de garantir à tous les citoyens de pouvoir accéder à cette transition.
Or, tous ces aspects disparaissent comme par magie, ou comme s’il n’y avait pas lieu de s’en inquiéter, comme s’ils allaient se produire de facto, par l’effet d’un cercle vertueux inéluctable.
Consumer Pro doit vous apprendre ce que vous aurez à relayer auprès des consommateurs. Dans les exercices de préparation à l’une des formations distillées dans ce cadre, on vous parle d’un homme qui « ne veut pas se séparer de sa voiture diesel parce qu’il y est attaché ». Par contre, l’idée même que cette personne ne puisse envisager financièrement de prendre un véhicule moins polluant, plus neuf, n’est même pas abordée ! Autre exemple : au cours d’un débat sur le droit à l’énergie dans l’UE, deux députés européens se désolaient « du manque de formation des consommateurs en matière de contrats [des fournisseurs d’énergie] qui expliquait pourquoi l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence n’avait pas eu les effets de baisse des coûts attendus » !
Quant à Nudge,
ce qui est interrogé, encore une fois, c’est le comportement des utilisateurs et rien d’autre.
Une telle approche revient à dire que ni l’état, ni l’industrie ne sont impliqués sur les questions liées à l’énergie ! Nous pensons exactement le contraire, et si les aspects comportementaux sont une facette des évolutions à venir, on ne peut décemment pas s’y cantonner. Dans un monde économique basé sur la croissance effrénée et la concurrence la plus intense, comment imaginer que les entreprises vont d’elles mêmes s’orienter vers une transition écologique réelle, profonde, ambitieuse, sans cadre contraignant ? Comment créer un tel cadre, si les états abandonnent leur contrôle de la question en privatisant l’énergie ? Tout ceci n’a pas de sens, et ne pourra avoir qu’un seul résultat : au terme du plan, on fera le constat de son échec, et on en inventera un nouveau, avec des objectifs plus ambitieux encore. Jusqu’au jour où il sera définitivement trop tard…
Notre position est donc de rester vigilants sur tous ces points et de suivre les projets menés sur l’UE pour mieux pouvoir les évaluer et en informer les consommateurs. Parce que dans ce domaine comme dans d’autres, il nous reviendra à nous tous d’agir et de contraindre des acteurs peu pressés d’évoluer à opérer les changements nécessaires à la sauvegarde de notre environnement, à notre sauvegarde…
Pleinement conscients que l’aspect comportemental ne peut être le seul à être interrogé, mais qu’il n’est pas à évacuer non plus, nous vous transmettons le lien vers l’enquête Nudge et nous continuerons d’écouter, informer et agir au niveau européen, pour plus de solidarité, d’équité, d’éthique, de respect du vivant, tout ce qui œuvre à rendre le monde meilleur, aussi bien socialement qu’environnementalement.
François BILEM
Responsable du collectif international d’INDECOSA-CGT
Présentation du projet NUDGE :
NUDGE News #1 – Nudgingconsumerstowardsenergyefficiencythroughbehavioural science (mailchi.mp)
Enquête (en français) :
https://ghentunipss.eu.qualtrics.com/jfe/form/SV_0BNIaYZmySIeWRD?Q_Language=FR
* European Consumers Union (ECU) = Union Européenne des Consommateurs. Fondé en 2009, l’ECU est un réseau d’associations européennes né pour connecter les besoins des consommateurs mondiaux et locaux. Nous défendons et diffusons les droits des consommateurs et nous intervenons entre les citoyens, les avocats, les administrations locales et internationales.
** Bureau Européen des consommateurs ( BEUC) fondée en 1962, est une fédération d’associations de consommateurs issues de 32 pays d’Europe, qui représente les intérêts des consommateurs auprès de l’Union.
Fiche activité internationale – N° 10 – 21 avril 2021