Alimentation

Lutter contre la désinformation nutritionnelle : C’est une urgence de santé publique !

Publié le 12 juin 2025

 

Comme pour les vaccins, les médicaments et l’alcool et bien d’autres domaines de la santé, la désinformation dans le domaine de la nutrition pose un vrai problème de santé publique

Du citron glacé pour traiter le cancer, des aliments brûleurs de graisses, du curcuma pour prévenir les maladies cardiaques… les fausses informations concernant l’alimentation sont légion, souvent diffusées par des acteurs peu scrupuleux pour servir leurs intérêts. Au mépris des connaissances acquises grâce à la recherche scientifique.

Mr Yannick Neuder, Ministre de la Santé vient de décider de faire de la lutte contre la désinformation une véritable politique publique. On ne peut que se féliciter de cette décision qui vise à rétablir la rationalité scientifique face à la prolifération des fake news qui circulent aujourd’hui, notamment via les supports digitaux et les réseaux sociaux..
Il est vrai que la diffusion de façon délibérée d’allégations mettant en cause sans justifications scientifiques les connaissances issues de la recherche qui permettent de définir les meilleures pratiques dans le domaine de la prévention comme de la prise en charge des maladies – peut avoir des conséquences dramatiques au niveau individuel et collectif. C’est le cas notamment de la désinformation qui vise à remettre en cause l’intérêt des vaccins ou des traitements médicaux ou encore qui cherche à discréditer les recommandations et les mesures, visant à lutter contre des comportements défavorables à la santé.

La nutrition, notamment l’alimentation dans son rapport avec la santé, est un terrain particulièrement propice pour la désinformationEn effet, l’alimentation, en dehors de sa dimension biologique, intègre des dimensions affectives, émotionnelles, culturelles et sociales qui sont autant de portes d’entrées pour faciliter la pénétration des fake news et se trouve au coeur d’énormes enjeux économiques. En effet, les aliments sont produits et commercialisés par des acteurs économiques qui souhaitent protéger leur rentabilité et leur croissance et maintenir ou augmenter leurs profits. Pour défendre leurs intérêts, certains d’entre eux développent des actions de lobbying visant à influencer les politiques publiques et contrer les réglementations qu’ils considèrent aller à l’encontre de leurs intérêts. Le marché de l’alimentation est un secteur économique gigantesque : en France, l’Association Nationale des Industries Alimentaires (ANIA) représente un chiffre d’affaire (CA) de 200 milliards d’euros/an et la grande distribution (FCD), plus de 225 milliards d’euros de CA/an.

Compte-tenu de ces enjeux, différents types d’émetteurs de fausses informations dans le champ de la nutrition se répandent dans les médias, les réseaux sociaux, sur divers supports et plateformes digitales, au sein de colloques (pseudo) scientifiques, dans les arènes politiques et même dans les supermarchés (sur des supports spécifiques comme les emballages des aliments) :

  • il y a ceux qui s’expriment à titre individuel : gourous, influenceurs ou coachs qui projettent dans leur discours, leurs opinions personnelles liées à leurs croyances, leurs idéologies et très souvent à des intérêts économiques. Ils cherchent à faire du buzz sur les réseaux sociaux et les plateformes digitales pour augmenter le nombre de leurs followers (source de bénéfices financiers) ou recruter des clients, vendre leurs livres, leurs programmes, leurs recettes miraculeuses ou promouvoir (en échange de financements) la consommation d’aliments spécifiques produits par des firmes qui les rémunèrent. Ils sont à l’origine de fake news qui ont souvent un écho considérable, du citron glacé pour prévenir ou traiter le cancer au curcuma pour empêcher les maladies cardiovasculaires, en passant par les bruleurs de graisses et autres compléments alimentaires aux multiples vertus, la promotion du jeûne ou de multiples régimes miracles, les attaques visant à discréditer le Nutri-Score ou les recommandations nutritionnelles officielles 
    On trouve également certains professionnels de santé qui ont le plus souvent des liens d’intérêt manifestes avec des fabricants d’aliments et vont relayer leurs propres recommandations « faites maison » sans bases scientifiques et allant à l’encontre des recommandations officielles.
  • On retrouve également de nombreuses fake-news provenant de certains acteurs économiques du champ de l’agro-alimentaire qui, soit très directement, soit via des « faux-nez »,  collectives, pseudos centres d’information, plates-formes, think-tanks, soit en s’appuyant sur des influenceurs, coachs et autres relais vont tenter de promouvoir leurs produits ou contre-carrer les recommandations officielles, actions ou outils de santé publique qui dérangent leurs intérêts. C’est une stratégie largement utilisés par les lobbies : détourner la réalité nutritionnelle du produit (comme « le sucre est une plante ») ; ou mettre en exergue un composant spécifique contenu dans un aliment en occultant les éléments négatifs qu’il contient (par ex : mettre un focus fort sur les probiotiques d’un yaourt liquide alors qu’il s’agit d’un produit sucré qui peut contenir autant ou plus de sucres qu’un soda…) ; ou discréditer les recommandations et les mesures de santé publique en laissant croire comme on l’a vu pour le Nutri-Score, qu’il est simpliste, réducteur, culpabilisant, stigmatisant, moralisateur et même liberticide ou encore qu’il ne repose sur aucune base scientifique. Les lobbies peuvent habilement diffuser des fake news en instrumentalisant des questions qui pourraient paraître légitimes mais qu’ils exploitent pour nuire à la crédibilité de l’outil de santé publique : par exemple ils vont faire croire faussement que le « Nutri-Score s’oppose aux aliments traditionnels, aux produits possédant une appellation d’origine, à l’alimentation méditerranéenne ; que l’huile d’olive est plus mal classée que des céréales petit-déjeuner,… »). Les fake news visent également à jeter le doute sur les travaux scientifiques qui soutiennent les recommandations et valident les mesures de santé publique comme le Nutri-Score.
  • Enfin, parmi les émetteurs de fausses informations dans le champ de la nutrition, on trouve également des politiques (élus locaux, parlementaires, partis politiques et parfois certains ministres hors du champ de la santé…) proches de certaines firmes agro-alimentaires ou de secteurs de production. Sur différents médias ou dans le cadre de débats politiques, il leur arrive de reprendre des éléments de langage empruntés aux lobbies pour défendre certains produits, certaines firmes ou filières et contrer des mesures de santé publique qui sont combattues par ces acteurs économiques. On peut voir également chez certains politiques une véritable manipulation de la question de l’alimentation à des fins purement électoralistes pour défendre un produit de leur région ou de leur pays. Et l’on voit se développer de plus en plus une désinformation s’appuyant sur des arguments gastro-nationalistes visant, avec des relents de complotisme, à faire croire que le Nutri-Score va à l’encontre de l’identité culturelle, du patrimoine culinaire et gastronomique du pays ou de la région …

La désinformation dans le domaine de la nutrition n’est certes pas un phénomène nouveau, mais elle trouve aujourd’hui une résonnance particulière par le développement des réseaux sociaux et des plates-formes digitales qui facilitent une large diffusion des fake news, la défiance vis à-à-vis de la science, des « experts », et de l’état et par l’importance des enjeux économiques qui sous-tendent les achats et les consommations alimentaires et leurs conséquences sur la santé.

Lutter contre la désinformation nutritionnelle et d’une façon générale dans le domaine de la santé (et dans d’autres champs fondamentaux comme le climat, l’environnement, la politique,…) s’avère d’une extraordinaire complexité.  Mais la désinformation, notamment dans le domaine de la nutrition, nuit gravement à la santé. Il est temps que la lutte contre les fake news fasse l’objet d’une « politique publique » permettant une lutte efficace contre les fake news en santé. C’est une urgence de santé publique !

3 juin 2025

Pr Serge Hercberg, Pr Chantal Julia, Dr Emmanuelle Kesse-Guyot, Dr Mathilde Touvier

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