Dossier : les forêts, un bien commun menacé

Régulièrement nous vous présentons un "dossier thématique" paru dans les derniers numéros du IN Magazine, la revue d'Indecosa CGT.
Publié le 22 février 2022

Les Français ont la chance de bénéficier de grands massifs forestiers offrant un cadre agréable aux loisirs et une ressource importante. La filière qui regroupe les métiers forestiers et ceux du bois se porte bien. Des menaces planent néanmoins sur les forêts : la pression économique et le réchauffement climatique.

Promenons-nous dans les bois…

En France métropolitaine, le massif forestier représente 16,9 millions d’hectares, soit 31% du territoire. Depuis 1985, il connait une progression de 0,7% par an. Depuis le Moyen-Âge, notre territoire n’a jamais été aussi boisé qu’aujourd’hui. La France se situe au troisième rang des pays européens les plus boisés, derrière la Suède et la Finlande.
Les trois-quarts de la forêt française appartiennent à des propriétaires forestiers privés. Le quart restant est divisé en forêts domaniales, qui appartiennent à l’État, et en forêts appartenant à des communes, des collectivités locales ou à des établissements publics. Les régions les plus boisées de France sont la Corse, la Provence-Alpes Côte d’Azur et la Bourgogne-Franche-Comté. On compte plus de cent trente essences sur le territoire métropolitain, soit 75% des essences présentes en Europe. Les essences les plus communes sont le chêne (42% du volume des feuillus), le hêtre, le pin, l’épicéa, le sapin et le châtaignier.

La gestion des forêts privées

La forêt privée appartient à quelques 3,5 millions de propriétaires forestiers. Elle a pour spécificité d’être extrêmement morcelée puisque seul un tiers des propriétaires possède plus d’un hectare. Le Centre national de la propriété forestière (CNPF), établissement public placé sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, est en charge du développement de la gestion durable des forêts privées. Il se compose de onze délégations régionales et d’un service de recherche et de développement, l’Institut pour le développement forestier. Le CNPF a pour principales missions la gestion des forêts privées, les conseils et la formation des propriétaires, le regroupement des forêts privées afin d’y réaliser des projets de dessertes, de mobiliser les bois, de regrouper les chantiers d’exploitation ou de mutualiser les coûts de travaux forestiers. D’autre part le CNPF agrée les plans de gestion que doivent produire tous les propriétaires de plus de 25 hectares.

La gestion des forêts publiques

Les forêts publiques – domaniales et communales – sont gérées par les forestiers de l’Office national des forêts (ONF) créé en 1964. Elles couvrent en métropole 4,6 millions d’hectares (8% du territoire), dont 1,8 million, propriété de l’État, et 2,8 millions d’hectares, propriétés des collectivités territoriales. Les territoires d’Outremer comptent de plus 8 millions d’hectares de forêts publiques. Les forestiers de l’ONF ont pour missions d’assurer la pérennité et la vitalité des forêts et de répondre à trois objectifs : fournir du bois, préserver l’environnement et accueillir le public. Ces missions reposent normalement sur une gestion durable des forêts encadrée par un plan d’aménagement forestier défini sur vingt ans. Sur le terrain, les missions affichées de protection de la forêt assurées par l’ONF sont très étendues. Il s’agit de préserver la biodiversité, défendre les ressources en eau, prévenir les risques naturels, garantir l’équilibre forêt-gibier, sauvegarder le patrimoine historique et culturel…

Une économie importante

Avec de nombreux professionnels de la filière forêt-bois française, l’ONF s’est engagé dans les démarches de certification PEFC et FSC. PEFC (Programme de reconnaissance des certifications forestières) et FSC (Forest Stewardship Council) sont deux certifications forestières distinctes qui attestent du respect des fonctions environnementales, sociétales et économiques de la forêt, assurent la traçabilité de la matière depuis la forêt jusqu’au produit fini et permettent ainsi aux consommateurs de choisir des produits provenant de forêts bien gérées. Parmi les forêts publiques gérées par l’ONF, 100% des forêts domaniales et plus de 57% des forêts communales sont certifiés PEFC. En 2018, deux forêts normandes, les forêts domaniales d’Arques et d’Eawy (Seine-Maritime) d’une surface respectives d’environ 1 000 et 7 000 hectares, ont aussi obtenu le certificat FSC.

Au-delà des massifs forestiers, la filière forêt-bois française est une branche importante de notre économie. Elle représente plus de 60 000 entreprises, environ 440 000 emplois, soit plus que l’industrie automobile, et un chiffre d’affaires annuel de 60 milliards d’euros. Un grand nombre de ses emplois sont non délocalisables. Cette filière intègre la production de bois d’œuvre (grumes pour sciage et placage), de bois d’industrie (panneaux de fibres et de particules, pâte à papier) et de bois de chauffage. L’ONF fournit 40 % du bois mis sur le marché en France.
La bonne marche de cette filière nécessite de préserver les forêts. Or l’équilibre de l’ensemble des forêts françaises est notamment menacé par le dérèglement climatique. Les arbres subissent les effets néfastes des changements en cours : la hausse des températures, la baisse des précipitations, l’arrivée de nouveaux parasites. Le hêtre, par exemple, selon l’ONF pourrait disparaître de nos paysages d’ici quelques décennies.

Définition d’une forêt La forêt est un territoire occupant une superficie d’au moins cinquante ares avec des arbres pouvant atteindre une hauteur supérieure à 5 mètres à maturité, un couvert boisé de plus de 10% et une largeur moyenne d’au moins 20 mètres.

La forêt au service du marché

L’industrialisation s’est introduite dans le mode de gestion des forêts, même publiques. Pour répondre à la demande du marché du bois, des coupes excessives, selon les agents forestiers, sont pratiquées ainsi que des plantations inadaptées.

On en entend peu parler mais tout n’est pas si formidable sous les frondaisons. Alors que l’idée de forêt recouvre pour le commun des mortels des notions de nature protégée, d’écologie, d’écosystèmes préservés, de durabilité, voire d’éternité, il semble que cette vision idéaliste soit de moins en moins possible. Le signal d’alarme a été tiré en 2018 par des agents de l’Office national des forêts (ONF) inquiets pour l’avenir de leur métier et, plus largement, pour l’avenir des forêts françaises. Les menaces se sont précisées à cette occasion : surexploitation, industrialisation, mécanisation lourde, mal-forestation, monoculture, privatisation rampante, rentabilité obligatoire, baisse du nombre d’agents… La sylviculture, censée préserver un bien commun et allier exploitation du bois – matière première renouvelable – et biodiversité, est en train de calquer le modèle agricole productiviste.

 

À l’automne 2018, des agents de l’ONF et des associations ont donc lancé un mouvement contre la marchandisation des forêts françaises. Partis à pied de plusieurs villes, ils ont convergé vers la forêt de Tronçais, dans l’Allier. Sur leur passage et lors de ce rassemblement final, les forestiers ont expliqué la mutation de leur métier et les pressions qu’ils subissent. Alors que la plupart de ces professionnels se sont engagés par vocation, pour la préservation des forêts et la protection de l’environnement, leur direction leur demande aujourd’hui de privilégier la rentabilité en pratiquant des coupes excessives, des plantations inadaptées, de la gestion à trente ou quarante ans quand l’échelle de temps de la forêt est plutôt de deux-cent-cinquante ou trois cents ans. Quelle forêt voulons nous pour les générations à venir, demandent implicitement ces agents convaincus que la forêt gérée par « des marchands de bois » court à sa perte.

Bois, papier, consommer éco-responsable

Parquet, granulés pour le poêle, meubles, cahiers et même couches pour bébé : deux labels certifient que ces produits ou leurs composants (la cellulose pour les couches) sont issus de forêts gérées durablement, PEFC et FSC.

FSC signifie « Forest Stewardship Council ». Cette organisation internationale non gouvernementale et indépendante, fondée en 1994 à la suite de la conférence de Rio de Janeiro de 1992, attribue des certifications aux forêts gérées de manière responsable, ainsi qu’aux produits en bois ou en papier issus de ces forêts. Plus de 196 millions d’hectares de forêts de tous types (boréales, tempérées et tropicales), dans 82 pays ont été certifiés. Plus de 32 000 entreprises sont certifiées : exploitants forestiers, industriels, distributeurs. Il existe également un label FSC Recyclé pour les produits fabriqués à partir de 100 % de fibres recyclées. Ce label est utilisé principalement pour des produits en papier mais peut également se retrouver sur certains produits en bois.

PEFC (Program of the Endorsement of Forest Certification) est aussi une organisation non gouvernementale créée en 1999 en France. D’abord européen, le système de certification est devenu mondial en 2001. Aujourd’hui, avec 303 millions d’hectares de forêt certifiés dans 50 pays, PEFC est le leader mondial de la certification forestière et la première source de bois certifié. En France métropolitaine et en Guyane, plus de 8,2 millions d’hectares de forêt sont certifiés, concernant plus de 69 000 propriétaires et plus de 3 000 entreprises de la filière forêt-bois-papier (exploitants, scieries, transformateurs, constructeurs, négociants, artisans, distributeurs, papetiers, imprimeurs, éditeurs…). Parmi ces 8,2 millions d’hectares, plus de 2 millions sont de la forêt tropicale de Guyane.

Magazines, livres, papiers, fournitures scolaires, produits d’hygiène (couches, lingettes, mouchoirs,…), meubles, parquets, objets de décoration, jouets, ustensiles de cuisine mais aussi bouchons, bois de construction, bois de chauffage, emballages… En choisissant en priorité les produits labélisés PEFC ou FSC, le consommateur adhère et participe au développement d’une Parquet, granulés pour le poêle, meubles, cahiers et même couches pour bébé : deux labels certifient que ces produits ou leurs composants (la cellulose pour les couches) sont issus de forêts gérées durablement, PEFC et FSC. Gestion responsable des forêts, partout dans le monde. Mais attention, ces labels garantissent les conditions de gestion forestière et non la qualité intrinsèque des matériaux entrant dans la fabrication des produits finis, ni la qualité de cette fabrication.

La déforestation, une menace planétaire

Victime d’un conflit qui l’oppose à l’agriculture, la forêt ne cesse de voir sa surface reculer. La déforestation est une menace pour le climat et un handicap pour une agriculture à taille humaine qui, selon la FAO, devrait pouvoir concilier sécurité alimentaire et gestion durable des forêts.

À l’échelle de la planète, la forêt représente un peu moins d’un tiers de la surface terrestre (4 milliards d’hectares). Elle se trouve très souvent en concurrence avec les terres agricoles pour des raisons évidentes d’inflation démographique et de nécessité alimentaire, mais aussi de politiques commerciales. De tout temps, les sociétés ont procédé ainsi. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, c’est dans le domaine climatique tempéré que l’on déboisait le plus. Aujourd’hui, c’est dans le domaine tropical que la déforestation est essentiellement concentrée. Entre 2000 et 2010, selon la FAO, la superficie forestière dans les pays tropicaux a connu une perte nette de 7 millions d’hectares par an. Dans le même temps, 6 millions d’hectares de terres agricoles ont été gagnés chaque année. Cette balance en défaveur de la forêt a surtout été marquée dans les pays à faible revenu et à déficit vivrier où les pouvoirs publics investissent peu dans l’agriculture et dans les forêts. L’enjeu pour ces pays, et plus largement pour le climat et l’équilibre écologique de la planète, est donc de concilier la préservation des forêts et la sécurité alimentaire.

Les forêts utiles à l’agriculture

Au-delà de la question alimentaire, la forêt disparaît aussi sous la pression d’une agriculture industrielle et commerciale. Celle-ci est, par exemple, responsable de près de 70% de la déforestation en Amérique latine. La forêt laisse alors la place à l’élevage extensif, la culture du soja ou les plantations de palmiers à huile. Or, axée sur l’exportation, cette agriculture contribue finalement peu à l’approvisionnement alimentaire local. Pourtant des outils et des méthodes existent pour, à la fois, accroître la productivité agricole, renforcer la sécurité alimentaire et mettre fin à la déforestation. Certains pays, comme le Ghana, la Gambie ou le Costa Rica par exemple, ont tenté des expériences dans ce sens avec succès. La FAO préconise pour cela une approche cohérente et intégrée de la durabilité dans tous les secteurs agricoles et les systèmes alimentaires. Elle insiste sur le fait que les forêts contribuent à cette durabilité en régulant l’eau, en stabilisant les sols, en offrant un habitat aux polinisateurs et aux prédateurs naturels des nuisibles… Intégrées de façon harmonieuse dans les paysages agricoles, les forêts peuvent donc, démontre la FAO, être utiles à l’agriculture.

Le bois prend de la hauteur : Favoriser par une sensibilité accrue aux questions de développement durable et d’écoresponsabilité, la construction bois trouve un nouvel élan depuis quelques années en France. Après des extensions et des maisons individuelles complètes, des projets de tours de 35 à 50 m de haut, de logements ou de bureaux, commencent à apparaître dans les principales villes françaises.

Une énergie verte : La loi de 2016 pour la transition énergétique et une croissance verte a parmi ses objectifs de porter la part des énergies renouvelables à 32% de la consommation finale d’énergie d’ici à 2030. En France, le bois utilisé comme source d’énergie représente 47% des énergies renouvelables et se présente sous trois formes principales : les bûches, les granulés de bois et les plaquettes forestières. Chaque mètre cube de bois énergie limite le recours aux énergies primaires.

Au feu ! : En 2017, plus de 3 000 feux ont dévasté 24 500 hectares de forêt en France. Particulièrement touché, le pourtour méditerranéen comptabilise 85% des surfaces détruites. 90 % des départs de feux de forêt ont pour origine les activités humaines et la moitié d’entre eux sont dus à des imprudences. En 2018, des vents moins forts et plus de précipitations ont divisé par trois les départs d’incendie et limité leurs conséquences en région méditerranéenne.

Pour en savoir plus

Sites : Office national des forêts : https://www.onf. fr/
Centre national de la propriété forestière : https://www.cnpf. fr/ FAO
Forêts : http://www.fao. org/forestry/fr/
PEFC France : www.pefc-france. org
FSC France : https://fr.fsc.org/ fr-fr

Livres : La vie secrète des arbres, de Peter Wohlleben, éditions Les Arènes, 2017 L’arbre Monde, de Richard Powers, éditions Le Cherche Midi, 2018

Film : Le temps des forêts, documentaire de François-Xavier Drouet, produit par l’Atelier documentaire et KM

 

Paru dans le IN Magazine de N°185 – Mai-juin 2019

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