In Magazine N° 208 – Mars / Avril 2023
Sommaire
Éditorial
Sommes-nous devenus des consommateurs chasseurs ?
Parler de la consommation numérique à travers un édito est un exercice compliqué.
On pourrait parler des recours juridiques offerts aux consommateurs en cas de litige.
Ou s’étendre longuement sur ses aspects énergétiques, surtout à une époque où on nous exhorte à la plus grande frugalité.
La consommation numérique peut aussi être abordée sous un autre prisme : celui d’un changement de société. Ou plus exactement, celui de la volonté des pouvoirs publics de nous orienter vers un autre modèle sociétal, où les collectifs se construisent et se défont en quelques clics, à l’occasion d’un évènement ou d’une simple opération.
Après le chasseur-cueilleur préhistorique, vivant au gré de ce que la nature lui offre, nous assisterions à l’avènement d’une nouvelle espèce : le consommateur-chasseur, à l’affût des bonnes affaires, outillé pour être prévenu à la seconde de toutes les opportunités, forcément rendu performant par ses expériences, mot-clé pour remplacer le terme « achat », si vulgairement matériel.
Pour les pouvoirs publics, cette logique adaptée à tous les domaines (publics comme privés), garantira un monde efficient, totalement analysé et maîtrisé par l’étude des données (le Big Data), animé par des Intelligences Artificielles garantes d’une neutralité visant en permanence à l’optimisation de nos ressources et de nos budgets.
Qu’importe si la réalité leur donne totalement tort.
Qu’importe si la fracture numérique laisse une personne sur cinq totalement désemparée devant le numérique dans notre pays, par manque de moyens, de formation ou de compréhension des logiques digitales.
Qu’importe si des associations de consommateurs comme la notre affirment que les dossiers que nous recevons sont généralement brouillons et qu’avant de pouvoir entamer une procédure amiable, il faut souvent passer plusieurs heures pour en comprendre les fondements.
Qu’importe si les arguments en équité que nous sommes fondés à émettre en complément des arguments juridiques ne trouveront jamais leur place dans un formulaire numérique.
Qu’importe si des équipes universitaires renommées ont décelé des dizaines de dark patterns (des manipulations cognitives visant à influencer les consommateurs) sur les sites marchands les plus utilisés. Qu’importe si le contact humain n’a jamais pu être remplacé par une machine.
Oui, la consommation numérique peut être synonyme d’une nouvelle société. Mais si nous n’avons jamais refusé le progrès, cette société là, clairement, nous n’en voulons pas.
Francois Bilem – Indecosa CGT