Autoriser la circulation de mastodontes routiers !
Avec vingt-six voix pour, onze contre et une abstention, les députés européens de la commission des transports et du tourisme ont ouvert la route mi-février à «l’augmentation des limites de poids et de longueur des véhicules impliqués dans le fret et les voyages routiers internationaux»*.
Elle a voté pour autoriser la circulation de mastodontes routiers soit des camions de 25m de long et 60 tonnes (au lieu de18 m et 44 tonnes aujourd’hui). Cette révision de la directive de 1996 relative aux poids et dimensions des véhicules, s’inscrit dans le « paquet sur l’écologisation du transport de marchandises » proposé en juillet 2023 par la commission européenne. Elle doit être soumise au vote du Parlement européen fin mars à Strasbourg.*
Cette mise en pièces qui implique une baisse de 20% de l’activité est exigée par la Commission européenne au nom de la concurrence. Une totale aberration. Le gouvernement aurait pu refuser ce diktat en faisant preuve de courage politique ou tout simplement de bon sens. Il est encore temps. S’il s’entête, Fret SNCF sera scindé en deux entités en décembre et des centaines d’emplois disparaîtront. Un dossier qui sera repris par celui-ci à l’issue des élections européennes des 6 et 9 juin.*
Plus lourds, plus longs mais soi-disant plus vert, car ils devraient être à zéro émission de carbone. Bons nombres d’entreprises du transport routier de marchandise utilisent maintenant les systèmes alternatifs (biocarburant) afin réduire leur empreinte carbone, avant de se tourner vers l’hydrogène ou voire à l’électrique dont le coût d’achat sera certainement très supérieur à ce qui est proposé de nos jours.
En 2015, l’Europe avait interdit la circulation de méga-camions (+18,75m et 40 tonnes) car elle avait, à l’époque, jugé trop dangereuse cette circulation.
Aujourd’hui, 1/3 des émissions de gaz à effet de serre sont dû au transport routier (camions et cars). Pourtant, tout le monde : les experts, les gouvernants, l’Europe, ne cessent d’affirmer que la seule et efficace solution pour « écologiser le transport de marchandises » est le transfert multimodal de la route vers le rail. Les deux sont complémentaires : la route pour un transport de proximité à la carte, le ferroviaire pour la longue distance et/ou la massification.
Où est-on en France ?
En 2000, le transport de marchandises était effectué à 20%par le rail et 80% par la route. Le gouvernement Jospin de l’époque affichait l’objectif ambitieux de 50% de part de marché pour le rail.
L’Europe, très volontariste sur ce sujet, imposait l’arme décisive pour atteindre ce transfert modal : la LIBERALISATION du secteur dans une directive de 2001. Plus de 20 ans après, quel est le bilan de cette politique en France ? Depuis 2002, les gouvernements libéraux qui se sont succédé n’ont pris aucune mesure pour favoriser le transfert modal rail/route. Mais ils ont bien appliqué les directives européennes d’instaurer la concurrence dans ce secteur. Résultat : aujourd’hui moins de 8% des marchandises sont transportées par le rail.
Certaines entreprises privées ont réussi à s’implanter soit sur des trafics rentables soit sur des niches. En revanche, l’opérateur historique Fret SNCF sera, peut-être, liquidé au 1er janvier 2025 sous l’injonction de la commission européenne et avec l’accord de notre gouvernement Macron. Dans ce monopole où la concurrence doit être libre et non faussée, Fret SNCF, aurait reçu des aides de l’Etat via sa maison mère la SNCF. Un SCANDALE pour la Commission Européenne.
Par contre, personne ne remet en cause les milliards d’euros que les pouvoirs publics dépensent pour que les camions roulent. Ce ne sont pas des aides directes aux entreprises mais avoir des infrastructures gratuites ne fausse-t-il pas la concurrence intermodale ?
Le transport par le rail paie, en grande partie (plus de 50%), le réseau ferré et son entretien. Le transport routier n’a pas cette charge dans le calcul de son coût. C’est l’ensemble des citoyens, à travers leurs impôts, qui sponsoriseront la multiplication des camions. De plus, est-ce que nos infrastructures actuelles peuvent supporter la circulation quotidienne de tels mastodontes ?
Demain, avec l’arrivée de ces mastodontes de la route, avec la « faillite » de Fret SNCF premier transport ferroviaire, nous allons à contre-sens de ce qu’il faudrait faire. Intégrons dans le coût de chaque transport celui des infrastructures utilisées, c’est la seule solution qui permettra un transfert multimodal.
Sans doute aussi intégrer dans nos modes de consommation l’avantage de favoriser la proximité producteur /consommateur, autrement dit les circuits courts. Voilà des pistes qui seraient efficaces pour « écologiser le transport de marchandises ».
Un dernier point et non des moindres est l’aspect sécuritaire sur les routes. Est-ce que le fait de développer et de multiplier ce genre de transport ne va pas être une source anxiogène de plus pour les automobilistes ? Egalement est ce le même permis de conduire poids lourds qui sera révisé ? Quand on souhaite imposer une visite médicale tous les 5 ans aux usagers !
Question que nous nous posons : notre profession connait une perte d’attractivité due en partie pour sa faible rémunération et par ses conditions de travail qui ne cessent de se dégrader. Est-ce que le fait de développer ce genre de transport (1 mastodonte équivaut à peu près à 2 camions) est une solution souhaitée par les employeurs et par les politiques publiques ?
*source « Journal La Marseillaise
Collectif Transport Indecosa CGT.
Mars 2024