La consommation des ménages est en perpétuelle évolution mais contrairement aux décennies antérieures ces mutations sont de plus en plus fréquentes et cela a un impact très important sur notre vie quotidienne.
Il y a à peine dix ans l’INDECOSA-CGT dénonçait la déshumanisation des grandes surfaces par la montée en puissance de l’automatisation des transactions avec le « Self scanning ». Désormais avec l’avènement du tout numérique ce sont tous les actes de la vie qui sont bouleversés. Cela va, bien entendu des achats de la vie de tous les jours mais aussi de nos démarches administratives et de l’accès aux services publics. Face à un tel phénomène beaucoup d’entre nous ont une sensation de dérochage. Selon une étude récente on estime que plus de 16 % de la population française souffre « d’illectronisme ». A cela s’ajoute une conjoncture qui se dégrade en termes de pouvoir d’achat par une stagnation des salaires et pensions et une montée en puissance des charges dites incompressibles. La nouvelle tendance de cette rentrée est assez éloquente. En effet nous assistons à une véritable flambée des charges contraintes : Eau, électricité, gaz, essence, logement, transport…Tout y passe et tout indique que cela va durer. Alors que nous venons à peine de nous remettre d’un confinement long et stressant, ce retour à la vie dite normale n’est pas sans susciter des inquiétudes pour bons nombres de consommateurs notamment les plus fragiles….
1) La guerre des matières premières a commencé
Selon de nombreuses perspectives à l’horizon 2040, il faudra nourrir 5,7 milliards de citadins et autres péri-urbains. Cela demande une alimentation diversifiée, riche en protéines, avec moins de terres cultivables, moins d’eau et de matières premières ferreuses et non-ferreuses pour les machines qui sont plus rares et plus chères et nécessitant une énergie décuplée pour les intrants et la circulation des biens marchands.
Or depuis les premières révolutions industrielles toute la croissance de l’Occident s’est faite grâce à une énergie fossile bon marché que furent le charbon et le pétrole. Dans le futur, l’énergie qu’elle soit fossile, nucléaire, alternative ou tirée du schiste restera la base du développement de toute société et la source de tensions internationales.
2) Une montée inquiétante des inégalités entre les ménages à l’échelle mondiale
C’est en partie la progression constante de la consommation des classes moyennes à l’échelle mondiale qui a concouru, à l’augmentation des coûts liés aux dépenses contraintes des classes moyennes occidentales les plus démunies. Elles touchent le logement avec les crédits, les charges et l’énergie. Pour les 20% plus modestes, le poids des dépenses courantes de logement dans leur revenu courant est passé de 31% en 2001 à 44% en 2006.
Entre 2001 et 2006, les charges d’énergie des ménages des 20% des plus pauvres sont passées de 10,2% à 14,9% du budget. Les dépenses contraintes touchent aussi la mobilité, et en particulier celle des périurbains et des milieux ruraux, en raison du coût de l’essence. Elles touchent également la santé, avec des dépenses de pharmacie qui passent de l’indice 97 à l’indice 117, entre 2007 et 2012. Une nouvelle consommation qui était inconnue en 1960 : L’activité numérique, pèse pour 8% en 2008 en moyenne et pour 17% pour ceux des ménages qui gagnent moins de 1 800 € par mois.
À cela s’ajoute une dérèglementation du travail sans précédent depuis une décennie. Dernièrement le PDG de Google indiquait que mettre en concurrence de manière systématique les salariés à travers le monde avec la généralisation du télétravail était désormais possible. Assurément des baisses considérables de rémunération était envisageable selon lui.
3) Internautes, chineurs et bricoleurs : Qui sont les nouveaux consommateurs ?
Depuis 2012, la montée en puissance de la contrainte liée au pouvoir d’achat conduit à de nombreuses évolutions des pratiques d’acquisition et de consommation. Cela va se traduire par quatre grandes pratiques de modulation de la consommation :
- La première consiste à acheter moins cher : En faisant du « couponing », en attendant les soldes, que les prix baissent en grande surface lorsque les produits sont à la limite de la date de péremption, en achetant à la fin des marchés quand les aliments sont bradés, en achetant de l’occasion aussi bien des livres ou des vêtements, mais aussi en revendant les cadeaux de Noël, ou en achetant des meubles en kit.
- La deuxième consiste à consommer moins, par exemple en éteignant les veilles des appareils électriques ou en fermant systématiquement les robinets d’eau.
- La troisième est de différer l’économie en investissant plus aujourd’hui dans de l’isolation, par exemple, pour payer moins cher plus tard, encore qu’il s’agisse là plutôt d’une pratique de gens aisés et informés. Elle peut être rapprochée de la location de voitures, de matériels de bricolage.
- La quatrième consiste à « faire soi-même », en sortant du circuit marchand, comme pour le bricolage, en récupérant les encombrants sur les trottoirs et pour les plus démunis en faisant les poubelles et en glanant à droite à gauche.
Bien sûr, toutes ces stratégies ne sont pas nouvelles. Certaines sont des pratiques très anciennes, qui sont le fait des consommateurs les plus démunis habitués à la « débrouille ». Toutes ne relèvent pas non plus de l’achat sous contrainte. Ainsi certains consommateurs peuvent être considérés comme plus avisés, plus calculateurs en dressant des listes en comparant systématiquement les prix et en consultant un réseau d’experts. Celui qui se restreint cherche à acheter le moins cher possible : c’est celui qui est le plus proche d’un comportement d’achat sous contrainte, et donc le plus sensible aux conséquences négatives de la mondialisation. C’est peut-être celui qui serait le plus prompt à participer à des mouvements pour exprimer sa colère comme c’est le cas avec une partie des gilets jaunes. Les comportements de restriction sont, en tout cas, les premiers signes de la consommation économe, en train d’émerger sous contrainte de pouvoir d’achat.
Afin de laisser la place au débat quelques pistes de réflexions…
Nous vivons sous l’ère des paradoxes, en effet si nous militons et agissons pour le droit à consommer, force est de constater que la consommation de masse a affecté la qualité de notre environnement. Elle a accru la pollution des sols, a affecté la qualité de l’air et de l’eau et engendré la pénurie de nombreuses matières premières sous couvert de gaspillage généralisé et de recherche immédiate du profit. Nous n’inventons rien, c’est d’ailleurs le constat que faisait la CGT dans les années 1970.
Nous pouvons également mesurer les effets de décennies de régressions salariales, de non-progression des pensions et allocations… Situation qui transforme la structure des dépenses des salariés consommateurs par des dépenses contraintes de plus en plus prégnantes. Modification provoquant un changement dans la vie quotidienne des consommateurs, par exemple nous assistons au retour par la force des choses à l’autoproduction familiale que l’on essaie de nous vendre comme la recherche d’un nouveau mode de vie, de consommation.
Explication bien facile pour dissimuler les conséquences de 40 ans de politique économique ultra libérale, de tensions sur les salaires, les pensions et les allocations, conduisant à un appauvrissement de l’ensemble des couches sociales de notre pays à l’exception des 10% les plus riches.
Mais pour les adeptes de cette économie cela ne leur suffit pas pour augmenter la productivité et la baisse des coûts de production d’un service. C’est désormais les salariés consommateurs eux-mêmes qui exécutent le travail. On peut citer par exemple l’impression d’un billet de transport, la facture du produit acheté dans un magasin, la liste est longue et semble n’avoir plus de limites… C’est l’adulation du travail gratuit, du transfert des coûts nécessaires à ces opérations, matériel, cartouches d’encres de papiers, abonnement à un opérateur d’accès à internet qui amputent gravement le pouvoir d’achat des salariés consommateurs.
D’autre part, le patronat et les gouvernements condamnent les salariés consommateurs à une double peine en payant au prix fort la mondialisation capitaliste, la casse industrielle dans notre pays, en concentrant la production dans les pays à bas coût. Conduisant à ce que nos achats créés les chômeurs d’aujourd’hui et de demain.
La pandémie que nous vivons actuellement a accéléré le renversement des rapports de forces mondiaux et plus particulièrement la place de la Chine dans la production des technologies de pointe et des matières premières. Par exemple la soi-disant pénurie de bois dans notre pays. Bois, que nous exportons et vendons à la Chine par ce que nous n’avons plus de scieries. Il en est de même pour les composants électroniques qui conduit à leur rareté. La casse dans les années 1980 de Thomson, Alcatel, en est un exemple marquant.
Il en est de même pour notre métallurgie. Les ouvriers consommateurs de Lorraine se souviennent avec une grande « amertume » des promesses non tenues de sauvegarde de l’emploi et des sites, par le gouvernement de l’époque présidé par François MITTERAND.
Les aciéries d’aluminium ont également disparu en Inde, les machines-outils rétrocédées gracieusement à l’Allemagne, etc.
La liste est extrêmement longue de pôles de production que nous avons laissé partir dans le seul intérêt de la rentabilité immédiate. Plus inquiétant encore ce sont les ruptures de stock des médicaments dont la liste ne cesse de s’allonger, provoquant des ruptures de traitement par manque de molécules. Les usines ayant été délocalisées et les laboratoires exerçant un chantage perpétuel pour en augmenter les prix.
Ainsi tout nous invite à réfléchir sur ces évolutions, et mutations nous concernant en tant que consommateur. Pour nous, la consommation est le point final de la circulation des produits, la consommation permettant la satisfaction des besoins sociaux, la reproduction et la régénération de la force de travail. Ainsi la consommation fait partie d’un large ensemble et son autonomie n’est que partielle vis-à-vis de la production. Pour notre association, consommation et production sont étroitement liées.
Alors notre questionnement est : comment ne pas se laisser enfermer dans les stratégies mortifères des libéraux ? Si nous écoutons le Président Macron et son gouvernement nous rentrons lentement mais surement dans une logique « malthusienne ». Dans cette même logique certains écologistes prônent la croissance zéro. Pour nous la véritable question c’est produire et consommer autrement.
Alors quelles propositions pouvons-nous faire à partir de notre actualité immédiate ?
- Sur le changement de production et la qualité des produits que nous mangeons, il y a urgence à ce que nous engageons une campagne pour interdire la réintroduction des farines animales dans les élevages en Europe. La seule justification est économique, la farine coutant moins cher que le protéagineux. La stratégie de l’industrie agroalimentaire est de développer des usines à élevage intensif au détriment du bien-être animal et de la santé des consommateurs. Nous avons à nous battre contre ce mode d’élevage en lien avec les salariés de ces secteurs, et leur CES. Nous avons malheureusement déjà donné avec les dégâts de la vache folle.
- Nous devons également nous battre contre l’augmentation systématique des prix. Nous devons imposer une TVA à taux zéro sur les produits de première nécessité, l’énergie en faisant partie. Il nous faut également exiger le blocage des prix quand cela est nécessaire à la sauvegarde du pouvoir d’achat des ménages. On nous répondra que ce n’est pas possible la loi ne le permettant pas et la commission européenne encore moins. En réalité, cela dépendra du rapport des forces que nous serons en capacité de créer.
- Autre bataille que nous avons à conduire : Celle l’universalité des vaccins contre la COVID-19 et plus généralement à une maîtrise publique de nos produits de santé entièrement déconnectés du marché. Si nous voulons sortir de la pandémie, il faut un taux de vaccination important dans notre pays et sur l’ensemble de la planète.
Pour terminer, notre pratique consumériste doit s’articuler en complémentarité avec la pratique syndicale, et non-être sur un terrain à part. Notre association se doit d’aider les syndicats à s’approprier les problématiques de la consommation. Elle vise, à l’élargissement de la pratique syndicale, permettant aux salariés d’intégrer à la fois les deux dimensions, production et consommation. C’est travailler également à une approche refusant le découpage arbitraire producteur-consommateur-usager.
La démarche d’INDECOSA-CGT est de répondre aux besoins des consommateurs salariés, en s’impliquant à la fois sur la fonction des produits, leur qualité, les conditions de leur production, leur prix, mais cela est également vrai pour le secteur des services.
Pour INDECOSA-CGT : Patrice Bouillon, Arnaud Faucon. 15 sept 2021