Revente en ligne, le secteur caritatif tire la sonnette d’alarme
Avec l’essor des sites de vente en ligne comme Vinted ou Leboncoin, bon nombre de citoyens font moins de dons de vêtements dont ils ne se servent plus. Si cela leur permet de gagner quelques euros, au détriment de ceux qui sont réellement dans le besoin.
En effet, depuis quelques années, les œuvres caritatives constatent qu’elles reçoivent moins de vêtements, mais surtout que les citoyens donnent désormais uniquement des pièces de moindre qualité. Ce faisant, ils détruisent peu à peu une économie circulaire et solidaire qui est pourtant essentielle à des milliers de nos concitoyens en situation de précarité.
Le mouvement Emmaüs a d’ailleurs lancé une campagne de sensibilisation pour défendre son modèle solidaire. Par le biais de fausses annonces, il appelle les utilisateurs à lui céder leurs vêtements usagés, plutôt que d’en tirer quelques euros sur internet. Sur la plateforme, une certaine « Emma Us » propose pour 5 € un T-shirt vintage proclamant :
« Si tu ne le portes pas, donne-le ». Le vêtement n’est en fait pas à vendre ; cette campagne est destinée à interpeller, sensibiliser, et à nous rappeler que donner à Emmaüs, ou d’autres, « c’est (se) donner le pouvoir d’agir pour la solidarité et pour l’environnement », peut-on lire sur l’étiquette.
Chez Emmaüs, « après tri et réparation, seuls 40 % des quelque 320 000 tonnes collectées chaque année peuvent être revendues, contre 60 % il y a 20 ans », alerte la directrice de l’organisme.
Qui se cache derrière Vinted ?
D’un site collaboratif à une entreprise commerciale comme les autres.
En 2008, Milda Mitkute et Justas Janauskas créent Vinted en Lituanie pour permettre aux habitants du petit pays balte d’échanger leurs vêtements.
L’entreprise s’est, par la suite, étendue en Allemagne sous le nom de Kleiderkreisel. En 2010, Vinted est lancé aux États-Unis. Depuis 2016, c’est Insight Partners qui en est le principal actionnaire. Il s’agit d’une société américaine spécialisée dans l’investissement de produits technologiques et d’entreprises d’internet en pleine croissance.
Vinted fait des bénéfices grâce aux ventes. Plus il y a de transactions, plus le site s’enrichit. Sur le principe, la mise de fond de la plateforme est quasi nulle puisque que la mise en valeur du produit est à la charge du vendeur.
Le groupe est désormais dans le viseur de certaines associations de consommateurs pour avoir mis en place une « protection acheteurs » soi-disant optionnelle, qui ressemble davantage à une commission déguisée qu’autre chose. Une action de groupe est en cours… Lorsque nous regardons de plus près, Vinted n’est pas si avantageux que cela, loin s’en faut. En effet, en cas de non-conformité d’un article, la perte reste à la charge de l’acheteur. En résultent des blocages intempestifs des réclamations et, généralement, les vendeurs ne peuvent pas récupérer leur argent. Un comble !
Vêtements usagés et recyclage : une filière opaque
De plus en plus d’Européens optent pour les achats de seconde main… même dans le luxe. Une transformation des comportements de consommation qui peut aussi créer une vision déformée de l’impact de la collecte de vêtements et de leur devenir.
En 2020, selon l’éco-organisme de la filière textile-habillement, linge de maison et chaussures, plus de 500 000 tonnes de produits ont été mises sur le marché, contre environ 204 000 tonnes collectées.
Quelque 56,5 % sont destinés au réemploi. Ces produits se retrouvent très minoritairement dans les réseaux de revente français, environ 5 % d’entre eux. Pour la majorité, ils partent à l’export…
Les réseaux sont là assez obscurs quant à la destination finale, mais de récents reportages ont soulevé la question du contrôle de ces marchandises, en Afrique ou en Amérique du Sud.
Un peu moins de la moitié de ces vêtements, chaussures et autres draps collectés, qui ne sont pas réemployés, sont utilisés comme combustible (environ 10 %) et plusieurs dizaines de tonnes sont enfouies (0,4 % du total). Au final, un tiers de ces produits seulement entrent dans un cycle de recyclage. Mais qui dit recyclage ne dit pas forcément nouveau produit textile, bien au contraire.
La boucle fermée, c’est-à-dire le réemploi de la matière d’un vêtement pour produire un autre vêtement, est quasiment inopérante.
Face à la flambée des prix des matières premières, ce n’est pas uniquement une vision écoresponsable qui doit diriger le secteur de la mode. Il faut être conscient que les millions de tonnes de produits non utilisés pourraient constituer une ressource à part entière.
Enfin, depuis 2018, l’Union européenne a adopté de nouvelles règles concernant l’économie circulaire et a établi un agenda pour leurs mises en application. Ainsi, dès 2025, les metteurs en marché de textiles auront l’obligation d’assurer la fin de vie de leurs produits. Cela signifie qu’il est impératif pour les marques de maîtriser la composition de leurs produits et la manière de les recycler.
Pour Indecosa-CGT
Arnaud Faucon