Cette fiche dresse un panorama d’ensemble des politiques publiques de l’habitat et des mutations particulièrement importantes en cours dans ce secteur de l’intervention publique sous l’impulsion des choix et logiques libérales du Gouvernement, pour en analyser les enjeux et repérer les sujets potentiels d’expression et d’action pour faire vivre d’autres choix.
Introduction
Peu de politiques publiques subissent comme le secteur de l’habitat une telle inflation de lois structurantes depuis la loi Barre de 1977 qui a défini l’actuelle logique d’organisation des politiques publiques. Pour n’en citer que les plus saillantes : Loi Besson en 1990, Loi d’orientation sur la ville en 1991, Loi SRU en 2000, Loi Borloo en 2003 créant l’ANRU et les opérations de renouvellement urbain, Loi ENL en 2005, Loi DALO en 2007, Molle en 2009, Alur en 2013, égalité et citoyenneté en 2017, Élan en 2018.
Quels sont les enjeux qui traversent les orientations d’un État qui est théoriquement le niveau de pouvoir
public compétent en matière d’habitat ? Quelle organisation territoriale pour quelles politiques ?
Un champ d’application définie strictement par la loi
Il est d’abord nécessaire de définir ce que peut être une politique publique de l’habitat. Elle est inscrite dans le Code de la construction et de l’habitation en ces termes : Article L. 301-1 :
I. La politique d’aide au logement a pour objet de favoriser la satisfaction des besoins de logements, de promouvoir la décence du logement, la qualité de l’habitat, l’habitat durable et l’accessibilité aux personnes handicapées, d’améliorer l’habitat existant, de favoriser la rénovation énergétique des bâtiments et de prendre en charge une partie des dépenses de logement en tenant compte de la situation de famille et des ressources des occupants. Elle doit tendre à favoriser une offre de logements qui, par son importance, son insertion urbaine, sa diversité de statut d’occupation et de répartition spatiale, soit de nature à assurer la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation.
II. – Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’existence, a droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent et indépendant ou s’y maintenir. » Chacun des termes est important puisqu’il autorise ou non l’intervention des acteurs, structures, outils et moyens financiers relevant de ce secteur. Il doit être aussi la justification de l’inscription de cette intervention dans le cadre des services d’intérêt économique généraux (SIEG) au risque sinon d’être attaquée par l’Union européenne.
La constitution d’un secteur du logement social avec des acteurs dédiés que sont les Organismes de logement social (OLS) se justifie par le 1° de l’article suivant du même code : Article L. 301-2 :
La politique d’aide au logement comprend notamment :
1° Des aides publiques à l’investissement en faveur du logement locatif, à la construction neuve de logements, à l’acquisition avec amélioration de logements existants et aux opérations de restructuration urbaine. Les aides sont majorées lorsque les logements servent à l’intégration de personnes rencontrant des difficultés sociales particulières, notamment pour tenir compte de la nécessité d’adapter la localisation, la taille, les caractéristiques techniques et la gestion de l’opération, tout en maîtrisant la dépense de logement … »
La même démonstration pourrait être faite pour légitimer l’inscription dans les politiques publiques des aides à l’accession à la propriété, des aides à l’amélioration de l’habitat, qu’il soit social ou pas, des aides à l’investissement pour les logements locatifs privés ou du financement d’aides personnelles au
logement.
Une politique aux acteurs, secteurs et enjeux multiples
Politique du logement social
Les acteurs des politiques publiques du logement social sont d’abord des acteurs publics et parapublics (même si d’autres vont intervenir selon le type d’action) :
◼ L’État, les collectivités territoriales et leurs regroupements, financeurs, intervenants dans la gouvernance des organismes de logement social, décideurs dans la production de logements, intervenants dans l’attribution …
◼ La Caisse des dépôts et consignation et Action Logement financeurs importants du logement social par leurs ressources spécifiques, issues de la collecte de l’Épargne populaire, singulièrement des Livrets A pour la première, résultant de la participation des entreprises à l’effort de construction pour la seconde. Ils sont aussi les actionnaires de référence des deux principaux bailleurs sociaux : Action Logement Immobilier avec ses près de 1 million de logements sociaux et CDC Habitat avec 250 000 logements sociaux au sein d’un groupe de quelques 500 000 logements.
◼ Les organismes de logement social que sont :
Les OPH, établissement publics rattachés à des intercommunalités ou à des départements. Subissant un mouvement de concentration fusion, ils sont au nombre de 237 pour un patrimoine de 2 245 000 logements locatifs sociaux) Leur gouvernance est « contrôlée par ce rattachement »
Des sociétés anonymes avec les ESH (entreprises sociales de l’habitat), les Coop’HLM (sociétés coopératives d’HLM) ou les Sem (sociétés d’économique mixte). Leur gouvernance dépend de leur statut et de leurs actionnaires qui peuvent être Action logement, la CDC, des grandes entreprises, des associations, des collectivités territoriales, d’autres organismes …
Ces organismes sont obligés par la loi Élan en ce début d’année 2021, de fusionner ou d’intégrer un groupe d’OLS, holding ou société anonyme de coordination (Sac) représentant la plupart du temps plus de 20 000 logements et imposant à leur OLS membre des critères de gestion d’autant plus drastiques que l’État a fortement dégradé les conditions économiques du secteur.
Les financements historiques, singulièrement les subventions de l’État, disparaissent. Les OLS ont de plus en plus recours à leurs fonds propres. Cette « autosuffisance » crée un paradoxe : la « solidarité nationale » dans le financement du logement ne vaut plus qu’entre, d’une part, les actuels locataires qui financent par leurs loyers l’entretien du parc et les constructions et, d’autre part, les locataires des futurs
logements.
L’existence de circuits de financement dédiés et avantageux en contrepartie de l’exercice d’une mission de service public (traduisez SIEG en droit européen) est singulièrement fragilisée.
Les attributions de logement social sont de plus en plus contraintes par des impératifs de mixité sociale dictés aux OLS par l’État et les intercommunalités au point que le principe d’attribution par la Commission d’attribution (voir Caleol) composés d’administrateurs traduisant dans leur pluralité la gouvernance de l’OLS devient de plus en plus illusoire. Aujourd’hui les conférences intercommunales du logement (Cil) qui arrivent à maturité et produisent des conventions intercommunales d’attribution (CIA) susceptible d’accroître ces contraintes en mixité et demain la cotation de la demande à cette même échelle intercommunale ne peuvent que dessaisir les OLS de leur prérogative.
L’articulation avec les politiques d’hébergement
Le gouvernement a lancé en 2017 un plan « le logement d’abord » en 2017 qui emporte le soutien, sauf sur le niveau de financement, notamment de la Fondation Abbé Pierre et d’INDECOSA-CGT. Ce plan propose « un changement de modèle » : « Il vise à réorienter rapidement et durablement les personnes
sans domicile depuis la rue ou l’hébergement vers le logement, et à proposer un accompagnement adapté, modulable et pluridisciplinaire ».
Face à l’urgence des situations, notamment des personnes à la rue, il est un levier qui explique l’augmentation des moyens budgétaires d’État depuis trois ans pour le développement de places en structures d’hébergement. Pour autant, les situations d’urgence continuent à augmenter en nombre.
Mais il soulève aussi la question du « parcours résidentiel », notion piégeuse singulièrement lorsqu’elle instaure une pression sur les habitants qui la place en contradiction avec l’article L. 301-1 du CCH qui vise « la liberté de choix pour toute personne de son mode d’habitation ». Faudra-t-il, dans une situation d’insuffisance de l’offre de logement social que ses actuels occupants ou demandeurs laissent leur place à des personnes hébergées ? Et pour quelle offre de logement lorsque les prix de l’immobilier continuent d’exploser ?
Politiques d’interventions sur le marché de l’habitat
Les pouvoirs publics ont-ils vocation à contraindre le marché de l’immobilier ? Cette question, revenant à interroger la légitimité d’une politique publique, l’État se la pose toujours, confronté à la double identité du logement, objet de marché ou instrument d’un droit fondamental. Sa réponse dépend, bien sûr, de ses choix politiques mais est aussi de la force des revendications portées par le mouvement social.
Cette même dynamique vaut à l’échelle locale où des collectivités, communes et intercommunalités, notamment sous la pression médiatique, politique et sociale, ont inventé des formes d’intervention pesant sur les marchés. Les opérations d’amélioration de l’habitat ciblées sur certains quartiers ont précédés la convention multipartite comprenant notamment une ou plusieurs collectivités territoriales et l’Agence nationale de l’habitat (Anah) qui s’applique sporadiquement à travers l’hexagone. Cette dynamique, entre local et national, portent aussi toutes les logiques d’intervention en matière de Politique de la ville (notamment les opérations de requalification des quartiers prioritaires de la ville (QPV).
Il semble que ces initiatives locales infusent dans des dispositions légales nationales qui redescendent
ensuite dans leur application. Cela vaut par exemple pour :
◼ La lutte contre les marchands de sommeil et contre l’habitat insalubre ;
◼ L’imposition d’un taux de logements sociaux à inclure aux opérations d’une certaine taille de logements (qui peuvent aujourd’hui s’inscrire dans les plans locaux d’urbanisme qui réglementent, intercommunalité par intercommunalité, le droit de construire ;
◼ La régulation du phénomène Airbnb et de ses conséquences en termes d’inflation immobilière ;
◼ La prévention des copropriétés ou des zones pavillonnaires dégradées ;
◼ L’encadrement des loyers dans les zones tendues …
Avec la montée en puissance des intercommunalités qui deviennent le chef d’orchestre opérationnel des politiques locales de l’habitat, toutes les interventions des acteurs locaux de ces politiques ont vocation à s’agglomérer au sein des Programmes locaux de l’habitat et de l’hébergement (PLHH) qui sont un document de projection stratégique à 6 ans orchestré par les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) compétents en matière d’habitat.
Ce PLHH permet de définir des objectifs, un programme d’actions et des moyens pour mettre en œuvre une politique locale de l’habitat. L’EPCI va solliciter les autres acteurs locaux autour des objectifs ainsi définis et dans la mise en œuvre du programme d’actions du PLH. La conférence intercommunale du logement peut devenir le lieu de confrontation des intérêts particuliers de ces différents acteurs et des différents secteurs concernés (logement social / logement privé, location / accession, logement / hébergement, habitat pour les jeunes, les familles ou les personnes âgées, aires d’accueil des gens du voyage …). Il faut donc imposer les habitants et leurs organisations comme un des acteurs de l’élaboration et du suivi de ces PLH !
Le contenu du programme comprend notamment, globalement et dans une déclinaison par territoires (communes, secteurs géographiques déterminés) :
◼ Le nombre et les types de logements à réaliser (logements locatifs ou en accession, relevant du
parc social ou du parc privé …) ;
◼ La répartition typologique des logements à construire ;
◼ Les moyens, notamment fonciers, à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs et principes fixés ;
◼ L’échéancier prévisionnel de réalisation de logements et du lancement d’opérations d’aménagement de compétence communautaire ;
◼ Les orientations relatives à l’application des dispositions du code de l’urbanisme, favorisant la construction de logement ;
◼ Les actions et les opérations de renouvellement urbain telles celles de démolition/construction de l’ANRU, d’interventions sur les copropriétés dégradées, d’amélioration de la qualité urbaine des quartiers concernés et des services offerts aux habitants ;
◼ Les réponses à apporter aux besoins particuliers des personnes mal logées, défavorisées ou présentant des difficultés particulières ;
◼ Les réponses à apporter aux besoins des étudiants.
Un modèle historique remis en cause
Dans un paysage en profond bouleversement, l’acteur public compétent en matière de politique publique de l’habitat reste l’État, même si opérationnellement, ce sont les collectivités territoriales qui interviennent et de plus en plus les intercommunalités.
L’histoire est marquée par une oscillation dans son implication dans une vision plus ou moins libérale entre un marché qui s’auto-suffirait, ce qui n’a jamais été le cas, et un secteur entièrement aidé et contrôlé. Plusieurs temps ont progressivement construit une logique à cette intervention publique :
◼ Le mouvement HLM qui se structure à partir de la fin du XIXe siècle dans une mixité de statuts entre sociétés anonymes et Offices publics et qui est, de ses origines à nos jours, le principal acteur de la réponse aux besoins en logement du plus grand nombre ;
◼ Un gel des loyers entre 1917 et 1948, aujourd’hui oublié dans la description grand public de l’histoire du logement ;
◼ La loi de 1948 qui revient sur ce gel et crée l’allocation logement en même temps que l’ensemble des circuits d’aide est restructuré ;
◼ La loi Barre en 1977 qui procède de même en créant un circuit dédié au financement du logement social, les PLA et une aide à l’accès au logement pour tous, l’APL. Mais c’est cette même loi qui enclenche le désengagement de l’État qui conduit à la remise en cause actuelle du modèle …
Cette remise en cause est particulièrement visible pour le logement social avec un assèchement de tous les financements publics, une transformation des organismes de logement social (OLS) forcés à se regrouper dans un mouvement de libéralisation (il ne devrait pas, rapidement, rester beaucoup d’Offices
publics seulement contraints par leur rattachement à une collectivité publique et qui ne seront pas « chapeautés » par une Sac au statut de société anonyme) et de banalisation (il est de plus en plus demandé à ces OLS de se débrouiller seuls ou au sein de leur groupe d’appartenance pour développer
une offre nouvelle, entretenir leur patrimoine existant, assurer des prestations en direction de ses locataires).
À rebours, les interventions sur le parc privé persistent, voire se développent. Il y a bien sûr les dispositifs fiscaux « d’aide à l’investissement » (dispositifs Duflot, Pinel et De Normandie et quelques autres, Périssol, Robien ou Scellier, consommateurs à long termes) pesant sur le budget de l’État pour un montant supérieur à 2 milliards d’euros en 2019, 2020 et prévisionnel 2021. Mais rappelons-nous, au niveau national, l’exemple en 2008 d’un État et de bailleurs sociaux qui volent au secours d’un secteur immobilier traversant l’une de ses crises les plus importantes en rachetant aux promoteurs toutes les opérations alors « plantées ». Au niveau local, la possibilité d’un encadrement des loyers, pour imparfait dans ses mécaniques, pour ne couvrir d’une partie restreinte du territoire et pour n’être proposé, après avoir été instauré puis contredit, qu’à titre expérimental, n’en constitue pas moins un aveu de la nécessité de réguler le marché.
Le RUA (revenu universel d’activité) lancé en 2019 et stoppé par la crise sanitaire risque de revenir sur le tapis. Au-delà de l’effet mécanique d’une aide globalisée à enveloppe constante dégradant la solvabilisation des aides personnelles au logement, la pire caractéristique de cette menace est celle qui est le moins dénoncé : déconnecter les aides personnelles au logement des politiques financières qui visent à rendre le logement et le logement social accessibles. Tant que ce lien est maintenu, l’État ne peut pas dénoncer l’inflation des aides personnelles sans se voir critiqué sur son désengagement financier.
Conclusion
Il ne faudrait pas que le scénario du pire se réalise avec une disparition, sinon une marginalisation, d’un secteur locatif social, de son parc et de ses opérateurs, une intervention sur les marchés immobiliers à l’échelle des intercommunalités à l’efficience faible (un niveau d’intervention nécessaire démesuré pour des effets mineurs) et la disparition d’une politique nationale tenant tous les bouts des outils d’intervention et agglomérant les interventions de l’ensemble des parties prenantes.
À charge pour tous les défenseurs du droit au logement pour tous d’intervenir de toutes les manières envisageables pour que ce scénario ne se concrétise pas.
Consom’Info N°61| 27 Janvier 2021 | Fiche d’information| les politiques publiques de l’habitat.