Alimentation

« Il faut aller plus loin pour limiter l’accès et l’exposition aux aliments gras, sucrés, salés et ultratransformés »

Publié le 22 avril 2025

Dans une tribune au « Monde », des spécialistes de la nutrition dénoncent les méthodes des industriels de la malbouffe, et proposent des solutions pour favoriser l’accès à une alimentation saine et bon marché.

  • Jean-David Zeitoun, Docteur en médecine, hépato-gastroentérologue et docteur en épidémiologie clinique ;
  • Serge Hercberg, Professeur émérite de nutrition ;
  • Mathilde Touvier, Directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.

—————————–

Le marché alimentaire mondial est dysfonctionnel. Responsables d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre, alors qu’ils pourraient avoir un bilan carbone négatif, nos systèmes alimentaires reposent sur une précarité à grande échelle des éleveurs comme des agriculteurs.

Bien que la malbouffe soit reconnue comme un facteur majeur des maladies chroniques, la majorité de la population ne peut accéder à des produits qui soient à la fois sains et bons. Ce sont plus d’un milliard de personnes qui souffrent d’obésité, un chiffre qui double si l’on inclut le surpoids. Le taux d’obésité infantile a, quant à lui, triplé en l’espace de trente ans, ce qui impacte la santé future des enfants, et peut être une source de stigmatisation sociale.

La France ne fait pas mieux que la moyenne mondiale : 17 % de nos concitoyens sont en situation d’obésité, et plus de 40 % sont au moins en surpoids. L’obésité est un facteur majeur de maladies cardiaques et vasculaires cérébrales, et d’une quinzaine de localisations de cancers. En elle-même, la consommation excessive d’aliments trop gras, sucrés, salés ou ultratransformés et pollués est fortement suspectée d’augmenter le risque de maladies chroniques.

Hausse des cancers

Ces caractères alimentaires font partie des hypothèses avancées pour expliquer en partie la hausse des cancers avant 50 ans, des maladies inflammatoires digestives ou articulaires et autres perturbations hormonales, toutes en augmentation.

S’ajoutent à ce constat d’importants dommages économiques. Les dépenses publiques entraînées par une alimentation inadéquate sont colossales, mais elles ne sont pas tracées. Rien que pour l’obésité, notre pays dépense plus de 20 milliards d’euros par an, auxquels il faut ajouter les dépenses liées au diabète de type 2 et autres maladies. Les quelques grands industriels impliqués dans le développement de ces maladies détruisent plus de valeur qu’ils n’en créent pour la société.

Pour perpétuer ce désastre, les génies de la junk food [littéralement nourriture poubelle] déploient un arsenal d’arguments voyous mais sans mérite, puisque largement repris par les lobbys du tabac. Ils nient à la fois le discours scientifique et les preuves générées par des travaux dont les résultats incriminent leurs produits, eux-mêmes emballés dans un marketing mensonger.

Ces industriels avancent pour se défendre l’argument d’une espérance de vie en constante augmentation. Cette donnée n’est pourtant pas pertinente : l’espérance de vie ne progresse pas pour toutes les catégories de la population, et les baisses de cet indicateur ne peuvent être perçues qu’avec des décennies de décalage, comme l’ont récemment découvert les Etats-Unis.

Arguments fallacieux et malhonnêtes

Ces mêmes industriels prétendent que la science jouerait contre la culture, la tradition, le patrimoine culinaire. Ils invoquent la défense des éleveurs et des agriculteurs, dont les difficultés sont pourtant liées aux dysfonctionnements du système, qui profite à ces grands groupes.

Enfin, ils mettent en avant la liberté du consommateur, alors que leurs produits saturés de sucre de sel et autres cocktails d’additifs sont étudiés pour pousser à la consommation, sans compter le poids d’un battage publicitaire agressif. Ce fameux « droit au plaisir » qui dénigre des messages de santé publique qualifiés de « liberticides » et « moralisateurs » est un classique, inventé par les vendeurs de cigarettes. Tous ces arguments sont fallacieux et malhonnêtes.

Nous n’avons pas besoin de nouvelles idées pour atténuer les fléaux causés par la junk food. Les solutions sont connues. Elles ont fait baisser d’autres facteurs de risques historiques comme le tabac ou la pollution au plomb. En matière d’alimentation comme ailleurs, c’est l’offre qui détermine la demande et sur laquelle il faut agir, et non se contenter de responsabiliser, voire de culpabiliser, les individus. Une combinaison d’interventions légales et économiques serait optimale. On ne peut abandonner aux industriels le droit de mettre n’importe quoi dans leurs produits, un pouvoir scandaleux qui n’existe dans aucun autre marché.

La taxe sur les boissons sucrées en France est un progrès, mais il faut aller plus loin pour limiter l’accès et l’exposition aux aliments gras, sucrés, salés et ultratransformés. L’environnement alimentaire doit, par défaut, être favorable à la santé, en rendant les produits sains accessibles. Il s’agit d’encourager la consommation de fruits, de légumes, de légumineuses, de poissons et de fruits à coque et de limiter celle de charcuterie, de viande, de produits trop gras, sucrés ou salés, ou d’alcool.

Taxer la junk food

Il est urgent de baisser drastiquement le prix des aliments sains, par le biais de subventions ou de détaxes, et, à l’inverse, de taxer la junk food. D’autres actions simples accentueraient l’efficacité de cette politique : l’interdiction de la publicité pour les aliments au profil nutritionnel défavorable, la limitation du marketing et du placement dans les espaces de vente. Le Nutri-Score est un outil puissant qui peut servir de base pour les politiques de prix et la régulation du marketing ou de la publicité, au-delà de l’étiquetage. C’est un objet scientifique solide et transparent, à l’opposé d’un discours industriel mensonger, superficiel et opaque.

Pour être pleinement efficace, le Nutri-Score doit être rendu obligatoire sur tous les aliments, élargi aux produits en vrac ainsi qu’à la restauration collective, et complété par une information graphique si le produit est ultratransformé. Il est nécessaire d’imposer des standards de référence pour les teneurs en sucres, en graisses saturées et en sel par catégorie d’aliment. Enfin, il est indispensable d’inscrire dans la durée les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS), et d’insister sur leur impact environnemental.

Ces changements seraient extraordinairement populaires, et permettraient de rendre l’alimentation saine accessible et abordable. Entre les XVIIIe et XXe siècles, l’espérance de vie française a triplé, et l’alimentation a été l’un des facteurs majeurs de cette progression spectaculaire.

Aujourd’hui, la situation s’est inversée. L’obésité tue 5 millions de personnes par an dans le monde. La France est prise dans la vague, avec 40 000 décès annuels. Des solutions existent pour sortir de ce suicide alimentaire, mais nous avons besoin d’intelligence et de volonté politiques.

Publié le 14 avril 2025

 

image_pdfimage_print

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *